L’aventure covidienne et les bobos parisiens se réfugiant (à leur corps défendant) à la campagne donnent naissance, sous la plume de Richard de Seze, à une amusante peinture de deux mondes parallèles.
Propos recueillis par Anne Le Pape.
• Tout d’abord, ôtez-nous d’un doute qui semble avoir existé, certains lecteurs ayant confondu l’auteur et le narrateur : vous n’êtes pas Réginald ?
Richard de Seze: Non, même si moi aussi j’ai été consultant en communication, avec ce que cela peut charrier de verbiage creux et d’hypertrophie des problèmes annexes. Mais le fait d’avoir été confondu avec un personnage qui me paraissait être un imbécile heureux a été très troublant ! Je crois que je n’emploierai plus jamais la première personne dans une œuvre de fiction. Je dois à la vérité que personne n’a jamais confondu la femme de Réginald, Quitterie, avec la mienne. Ça a un peu ajouté à mon trouble vexé.
• En quoi le monde des bobos parisiens et celui d’une maison de famille à la campagne diffèrent-ils surtout : décoration, comme présence de crucifix dans chaque pièce et choix des livres ?
Richard de Seze: La différence, c’est la sédimentation des traditions : les chambres ont des noms consacrés de tantes inconnues, les meubles sont plus vieux que les propriétaires, les bibliothèques sont fournies en livres improbables… Et, oui, il y a des objets religieux, même réduits à l’état de traces vestigielles. Il circule dans la maison de famille un fumet historique assez dense qui baigne les pièces, même les plus anodines, et leur confère une densité inusitée à laquelle sont sensibles les enfants, les réacs et les gauchistes aux nerfs fragiles et aux sens toujours en éveil, traquant même dans leur sommeil les micro-agressions du fascisme quotidien.
• Réginald et Quitterie donnent aussi l’impression de ne pas parler la même langue que Jean, l’ami qui leur prête la maison, ou son voisin paysan, Albert ?
Richard de Seze: Ils parlent cette novlangue des « bullshit jobs » et des médias progressistes qui ne désignent pas les choses mais inventent des périphrases pour moraliser l’environnement, des choses aux gens. Ça a un effet comique assez sûr d’opposer les deux, avec leurs deux enfants qui ne maîtrisent pas le sabir progressiste et font surgir malgré eux une réalité déplaisante, comme la proximité des discours de Macron et Pétain. Jean a ce côté joyeux et bon vivant du lecteur de Marcel Aymé et Jacques Perret, qui maîtrise le vrai français, et Albert parle comme tous ceux que j’ai croisés dans le Maine et l’Anjou pendant le confinement : avec une simplicité raffinée, trouvant toujours le mot juste pour décrire les choses et la situation ubuesque où nous vivions.
• Ils ne voient pas non plus la même nature, qui les entoure…
Richard de Seze: Pour Quitterie, une nature sans pancarte et sans médiateur culturel est une nature hostile, qui pue et qui pique, et qui parfois grogne quand elle croise un sanglier – une laie suitée, pour être précis. Cette nature sauvage, pleine d’herbes folles (neuro-atypiques, comme dirait Réginald) et d’insectes inquiétants, est l’affirmation tranquille de la Nature, de ce qui existe et s’impose à l’homme malgré ses idéologies. Horrifique vision pour les adeptes du constructivisme ! L’ortie n’a aucun sens social, la laie n’est pas inclusive, l’odeur du lisier ignore qu’elle agresse, les carcasses d’animaux ne savent pas qu’elles ruinent une éducation faite de mensonges bienveillants sur le vivre-ensemble entre animaux. Quitterie languit après les forêts urbaines d’Anne Hidalgo, elle souffre. On rit.
• … et ne se nourrissent pas de la même façon.
Richard de Seze: Non, ils mangent éthique, responsable, bio, flexitarien… avant de rendre les armes et de se convertir, bon gré mal gré, aux légumes du voisin, aux conserves et aux pâtés de leur hôte, et à la gnôle sans étiquette. On peut dire que Réginald en est transformé. Le livre se termine sur la promesse de côtes de bœuf, et l’exécution d’un serpent, occis par Quitterie, devenue insensible au statut d’animal protégé de la vipère. Le serpent ne sera pas mangé.
• Finalement, Quitterie a raison, la maison de Jean est réac, le paysage qui l’entoure est réac : sur qui cette influence qu’elle craint a-t-elle le plus d’influence ?
Richard de Seze: Sur les enfants, qui glissent facilement, et même avec ravissement, dans l’univers traditionnel d’Albert le paysan et de Jean, le maître des lieux. Un univers de saisons, de bêtes, de fêtes et de rites oubliés qui surgissent devant eux comme des terres inconnues aux délices alléchantes. Ils sont à la campagne, ils délaissent les outils numériques, ils espèrent que les cloches de Pâques apporteront des œufs, ils rentrent dans cet univers à la fois réel et fantastique des traditions françaises. Quitterie et ses discours woke ne peuvent plus les atteindre. Libérés, délivrés, ils ne mentiront plus jamais.








