J’ai une très grande admiration pour l’avocat Thierry Bouclier. Peut-être l’ai-je déjà exprimée dans Présent. J’admire ceux qui arrivent à mener simultanément deux passions a priori guère compatibles, en l’occurrence, une compétence incontestée dans le domaine du droit fiscal, et une fine connaissance des écrivains de droite (ou classés à tort comme tels), par exemple Châteaubriant, Drieu La Rochelle, Benoist-Méchin, voire ce cher ADG, dont mon grand-oncle Brigneau faisait grand cas. Depuis peu Maître Bouclier est également l’auteur de romans policiers, parus ces dernières années à l’enseigne du Lys Noir, que j’ai dévorés. On doit également à notre avocat-écrivain une biographie de Tixier-Vignancourt, ce qui, pour le coup, est déjà plus logique.
Alain Sanders classerait volontiers Thierry Bouclier dans la catégorie des « sauteurs ». Ce n’est pas péjoratif dans sa bouche, d’autant qu’il se classe lui-même dans cette catégorie. Les « sauteurs », selon lui, ce sont des gens qui se passionnent pour tellement de sujets qu’ils passent leur temps à « sauter » d’un sujet à l’autre, par exemple Nimier (jusqu’à prendre pour pseudo Sanders, qui est le nom d’un personnage clé des romans de Roger Nimier). Sanders se passionne donc pour les Hussards. Il revendique d’ailleurs une certaine filiation avec cette sorte d’école littéraire. Mais Sanders c’est aussi un engagement ou au moins une passion pour les loups, l’Amérique du Nord, Bob Denard et ses mercenaires etc. Sanders est un authentique « sauteur ». La couverture de son roman Le Hussard blet est d’ailleurs reproduite à la page 106 du livre de Bouclier. Le Hussard blet a été réédité en 2021, ce qui montre que Nimier et les Hussards continuent à fédérer de nombreux lecteurs et admirateurs.
A l’opposé, on trouve les « monomaniaques », concentrés sur un seul thème, une seule passion, un seul écrivain, un unique thème de collection.
Nimier était un « sauteur », selon cette classification. Il n’est donc pas étonnant que Bouclier ait eu envie de le « biographier ».
Essayons de collecter les passions successives ou simultanées de Roger Nimier : la littérature en général, les « Hussards » et les mousquetaires, la maison Gallimard, Bernanos ( Le Grand d’Espagne), la Collaboration et la dernière guerre (Le hussard bleu), les mousquetaires (D’Artagnan amoureux), les plus grands écrivains d’avant-guerre (Chardonne, Morand, Fraigneau, par exemple), l’alcool (cela ne lui a pas réussi), les femmes (cela lui a plutôt réussi, la chronique et la critique journalistiques (Arts, La Parisienne, etc.), la politique, les voitures puissantes et rapides (hélas !), Céline (« Donnez à Céline le prix Nobel ») les bandes dessinées d’Hergé…
Toute la vie de Nimier est résumée en 90 pages dans cette épatante petite biographie de Bouclier, ce qui, en soi, reste une performance, quand il s’agit de raconter la vie d’un « sauteur », si brillant, de surcroît.
La synthèse est parfaite, mais elle est forcément moins complète que la biographie rédigée par Marc Dambre, qui reste le spécialiste numéro un de Nimier. Il lui a en effet fallu près de 700 pages pour raconter « son » Roger Nimier, Hussard du demi-siècle. Le travail de Bouclier sera sans doute davantage lu, mais par un public moins érudit, moins axé sur la littérature du XXe siècle.
Toutefois il y a tellement d’entrées pour pénétrer dans la vie et dans l’œuvre de Nimier (disparu pourtant à 36 ans seulement) ! Il y a tellement d’intellectuels, d’écrivains ou simplement de lecteurs, pour se recommander de Nimier, pour l’apprécier, pour se repaître des anecdotes qui ont composé sa vie !
J’aurais aimé moi aussi le rencontrer, ainsi que ses amis Blondin, Laurent, Haedens, Millau, Déon, Hecquet, Chardonne, Gallimard etc. Hélas il a trouvé la mort à une date où moi-même je n’étais pas encore né !
J’aurais voulu pouvoir accompagner Geneviève Dormann dans leurs périples, même si les blagues que lui faisait Nimier étaient parfois assez vachardes. Lisez ou relisez le grand entretien que Geneviève Dormann avait donné à Bergeron, et qui a été publié chez Dualpha en 2015 (Geneviève Dormann, la petite sœur des Hussards). Mais lisez ou relisez aussi L’Histoire égoïste de Jacques Laurent, Au galop des Hussards, de Christian Millau, Mes arches de Noé de Déon, Mon après-guerre de Brigneau, la correspondance Nimier-Chardonne, les ouvrages du critique belge Pol Vandromme etc.
J’aimerais avoir trente ans de moins, et lire, pour la première fois, ces récits, ces souvenirs, ces témoignages.
Cette biographie de Thierry Bouclier est particulièrement précieuse aussi pour sa dernière partie, Le mythe éternel. Dans ces quatre courts chapitres, Bouclier évoque le mythe des Hussards, et spécialement le souvenir de Nimier. Nimier a eu des admirateurs, mais aussi des imitateurs, des disciples, voire des contempteurs.
Je me permets de signaler aussi l’intérêt des annexes : les jugements sur Nimier, les jugements littéraires de Nimier, les meilleures citations de Nimier.
Pour que cette bio soit parfaite, il ne manque qu’une chose, devinez laquelle ? Il manque un index des noms cités ! J’en signalais l’importance, l’intérêt, au tout début de ma critique. Pour rédiger la présente critique, je voulais par exemple rappeler les liens personnels entre Gallimard et Nimier, les farces que Nimier lui avait joués. Sans index, même pour une bio de cent pages, vous n’imaginez pas le temps qu’on perd à rechercher les références.
Nimier et tous les Hussards, c’est une aventure littéraire d’une confondante modernité, c’est pourquoi la génération de la jeune droite littéraire d’aujourd’hui doit s’y plonger à son tour.
Madeleine Cruz
Le comte de Gobineau, « fils de roi », par Jacques Bressler, 175 pages, Synthèse & Déterna éditeurs, La « Bio Collection », 2025, 20€.
Jacques Cartier, le découvreur du Canada, par Rémi Tremblay, 150 pages, Synthèse & Déterna éditeurs, La « Bio Collection », 2025, 20€.
Nimier, par Thierry Bouclier, Lif éditeur, collection « Qui suis-je ? », 126 pages, 15€.








