Interviewé par Le Point quelques jours avant l’accident d’avion qui a décapité le 23 août le groupe paramilitaire Wagner, le milliardaire et oligarque déchu Mikhaïl Khodorkovski, aujourd’hui réfugié à Londres après avoir été libéré de camps sibériens puis caréliens, lançait cette prophétique boutade : « Si Poutine pouvait tuer Evgueni Prigojine, il le tuerait !» Mais le président russe l’a-t-il fait ?
Accident ou attentat ?
Depuis que le Blériot IX piloté par le pionnier Léon Delagrange s’écrasa le 4 janvier 1910 près de Bordeaux, on ne compte plus les célébrités victimes du rêve d’Icare, du boxeur Marcel Cerdan à John Kennedy junior, du chanteur Daniel Balavoine au Grand Maitre du Grand Orient de France et agent d’influence François Baroin disparu en Afrique, de la navigatrice Florence Arthaud au Nobel suédois Dag Hammarskjöld, alors secrétaire général de l’ONU en mission dans l’actuel Zambie, du général russe Alexandre Lebed au charismatique PDG de Total Christophe de Margerie, dont l’avion s’écrasa le 20 octobre 2014 près de l’aéroport moscovite de Vnoukovo. D’où avaient justement décollé mercredi Evgueni Prigojine et ses deux principaux lieutenants en route pour Saint-Pétersbourg.
Simples accidents, sabotages, tirs de missile ou d’un avion ennemi ? De même que dans le cas de Hammarskjöld (bien qu’en l’occurrence, l’intervention d’un avion adverse soit avérée, l’enquête ouverte le 18 septembre 1961 après la découverte de l’épave et réanimée en 2019 à l’instigation de l’ONU n’a donné aucun résultat probant quant au donneur d’ordres), d’Alexandre Lebed et de Christophe de Margerie, maintes hypothèses circulent sur le crash du 23 août.
Beaucoup de Russes nationalistes discernent la main de l’Ukraine et surtout de son grand allié états-unien, accusation immédiatement rejetée par Volodymyr Zelinsky qui y voit le résultat d’une sanglante guerre entre clans mafieux russes — univers impitoyable qu’il est le mieux placé pour connaître de l’intérieur. Admettons, encore qu’un Prigojine, même sur la touche, restât un danger majeur pour Kiev.
A l’opposé, certains cercles de l’armée russe voient dans l’élimination de Prigojine le signe d’une reprise en main par le Kremlin de l’appareil militaire, d’autant que le supposé accident ayant coûté la vie à ce patriote de père juif (cas également de Khodorkovski) a coïncidé avec le limogeage d’un de ses proches, le général Sergueï Sourovikine un temps chargé de l’offensive en Ukraine après avoir servi en Syrie. Un appareil militaire désormais musclé par l’intégration des hommes de Wagner désormais livrés à eux-mêmes, et des autres milices dont les commandants ont intérêt à marcher droit sous peine de connaître un sort tragique.
L’Afrique de toutes les tentations
Cette hypothèse paraît la plus logique, mais est-elle fondée ?
D’une part, on voit mal pourquoi Poutine, « qui n’est pas irrationnel » comme l’a récemment rappelé Sarkozy, se serait débarrassé d’un homme qui lui a rendu de signalés services, en Afrique notamment — de Madagascar à la République Centrafricaine et maintenant au Niger où les réseaux de Prigojine participent activement à l’extraction et à la vente des métaux précieux et dont il avait encouragé l’extension de l’empire… à moins évidemment que le maitre du Kremlin ne veuille s’emparer de cet empire rapportant des sommes fabuleuses.
D’autre part, s’il voulait vraiment faire disparaître l’ancien cambrioleur devenu richissime (sa fortune est estimée à 2,4 milliards de dollars), pourquoi Poutine ne l’a-t-il pas fait de manière plus discrète et plus ingénieuse, en Afrique justement où Prigojine se trouvait encore quelques heures avant sa mort ?
Staline avait montré la voie en faisant exécuter son ennemi juré Trotski en août 1940 à Mexico, où le fondateur de la IVème Internationale s’était réfugié, par le Catalan Ramón Mercader, un agent du NKVD. Deux ans auparavant, le fidèle secrétaire de Trotski, l’AllemandRudolf Klement, avait mystérieusement disparu le 12 juillet 1938 à Paris (où il était hébergé par l’écrivain Léo Malet, le futur père du détective Nestor Burma !), avant que son corps démembré ne soit découvert dans la Seine. Ses assassins s’étaient quant à eux évanouis dans la nature et L’Humanité soutenait mordicus que Klement avait été aperçu à Perpignan.
L’ancien colonel du KGB qu’est le président russe connaît tous les trucs de la maison, et il n’avait que l’embarras du choix pour renvoyer Prigojine vers les ténèbres extérieures.
La guerre continue
C’est pourquoi, bien que Vladimir Poutine ait officiellement annoncé le décès du « talentueux » Prigojine — qu’il qualifiait de « traître » et de « renégat » après le putsch avorté du 23 juin dernier (1), certains imaginent une substitution de cadavres. Selon eux, le patron de Wagner et ses adjoints seraient bien vivants et toujours prêts à servir leur patrie bien-aimée. Nul doute qu’au pays des « faux Dmitri » (qui annoncèrent « le temps des troubles ») et autres fallaces, l’ombre de Prigojine planera encore longtemps sur la Russie. En attendant, la guerre continue, bientôt rendue encore plus cruelle avec la livraison à Kiev par le Danemark et les Pays-Bas de F-16 américains, avions de chasse que les pilotes ukrainiens pourront apprivoiser sur des bases militaires états-uniennes. Si ça n’est pas de la cobelligérance, cela y ressemble furieusement.
Camille Galic
Très intéressant article. Les infinies ressources du continent africain ont toujours suscité des convoitises responsables de morts très suspectes. Telle celle du géologue alsacien Conrad Kilian, né en 1898 et « inventeur » avant la Seconde Guerre mondiale des gisements de gaz et de pétrole sahariens. Objet de maintes tentatives de corruption de la part des Anglo-Américains, il fut découvert fin avril 1950 dans une pension de famille grenobloise, « suicidé » par pendaison à l’espagnolette de sa fenêtre située à 1,20 mètre du sol alors que lui-même mesurait 1,80 mètre, de plus le visage tuméfié et les poignets tailladés. Les soupçons, jamais prouvés, se portèrent sur l’Intelligence Service britannique voulant protéger les intérêts de la Shell et de l’Anglo-Persian Oil Company. Circonstance aggravante : le seul qui avait ajouté foi aux découvertes de Kilian, le général Leclerc de Hauteclocque, avait lui-même péri le 28 novembre 1947 dans un accident d’avion alors qu’il survolait la région franco-saharienne de Colomb-Béchar. La faute à une tempête de sable, paraît-il…