Comme il y a des fous de corrida… ou d’Allah, Christopher Gérard est un fou de littérature, fonction que ce Belge romancier, critique littéraire et animateur du blog littéraire Archaïon, considère « comme un sacerdoce » ; ce que percevront vite les lecteurs de Les Nobles voyageurs (1), réédition revue, refondue et augmentée de Quolibets publié en 2013 par Dominique de Roux auquel le présent ouvrage est d’ailleurs dédié, ainsi qu’à Paul Vandromme, grand critique d’Outre-Quiévrain.
Un fil d’Ariane dans ce « Journal de lectures » : le violent sentiment d’exil exprimé par « ses maîtres, tel Cioran », car l’essayiste se sent « exilé chez [ses] contemporains »… Ce qui est le cas de beaucoup d’entre nous tant la race, ainsi que l’époque, est devenue basse et crasse. Parmi ces nobles voyageurs, on retrouvera donc nombre d’écrivains amis, même si manquent curieusement à l’appel Brasillach et « l’ouragan Rebatet » expédié au détour d’une phrase alors qu’avec Les Deux étendards, on lui doit l’un des romans les plus puissants du XXème siècle. Alors que Matzneff, satyre ostentatoire si longtemps couronné de thym et d’encens bénéficie de la plus longue entrée : vingt pages pleines… où il n’est pas mentionné bien sûr qu’en 1979, il se vantait dans un billet du Monde d’avoir toujours dans la poche gauche de veste Harris Tweed un panégyrique signé de Mitterrand et, dans la droite, un los manuscrit de Giscard. Deux poulets de nature à calmer les ardeurs moralisatrices la maison poulaga appréciant peu les chasseurs de chair fraîche. Au demeurant, le hourvari actuel contre le nouveau M. le maudit est aussi répugnant que l’impunité dont il jouit si longtemps.
Et puis, pour un imposteur,que de voyageurs vraiment nobles dans ce panthéon! Ainsi le trio Jacques Perret, Jean Raspail et Michel Mohrt (auteurs des bouleversants Campagne d’Italie et Mon royaume pour un cheval) dont la dignité et la beauté, reflets de leur âme, restèrent confondantes jusque dans leur plus grand âge. Impresssionnants aussi, à lire et à côtoyer, Ghislain de Diesbach tout récemment disparu, Michel Déon ou Jean Mabire, « le regard clair, le sourire lumineux ! et quelle bienveillance pour ses cadets. On est fier d’avoir connu cet homme honnête et fidèle qui, dans ses livres comme dans ses livres, nous enseigne le risque et la ferveur », souligne l’essayiste .
Cette « galerie d’indociles » qui n’exclut ni les jeunes, comme Sébastien Lapaque ou Thierry Marignac, Jérôme Leroy ou Bruni Favret, ni les étrangers ( Makine, Evelyn, Waugh…), suscita maints éloges en 2013, le plus dithyrambique étant celui rendu par le prophète du Camp des Saints : « Ce que je voulais vous dire, c’est ma surprise et mon admiration totales devant tous les textes magiquement écrits, avec une grande générosité, et une fraternité de haut vol. »
Bien vu mais on repassera pour la sororité alors que si le beau sexe compte peu d’auteurs majeur, il a joué un rôle primordial dans la construction, la promotion et la domination si longtemps du français devenu « la langue des Dieux depuis l’oubli du grec ». Mais au Moyen-Âge, Héloïse fut-elle étrangère à ce « culte » ? Or, dans ce « panthéon d’irréguliers », sur les quelque cent trente écrivains distingués et intelligemment disséqués par Christopher Gérard, cinq femmes (dont une Russe et une Israélienne) seulement. Si l’helléniste Jacqueline de Romilly mérite largement sa place, l’absence de Geneviève Dormann surprend car cette hussarde au regard très bleu et à la verve irrésistible avait le génie des charges héroïques contre une époque dont la veulerie et le psittacisme, surtout en matière historique, la révulsaient. Reste que ce « panthéon d’irréguliers » constitue « une somme », à juste titre saluée par Michel Déon.
Camille Galic
- Ch. Robert : Les Nobles voyageurs, éditions de la Nouvelle Librairie, 466 pages, 24,50 €. Novembre 2023
Bien vu, pour les compliments comme pour les réserves.
« Quolibets » n’a pas été publié par le grand DDR, mais par son fils, c’est une erreur vénielle…
En fait, « Quolibets » n’a pas été publié par les de Roux, père ou fils, mais à l’Age d’homme, maison créée et dirigée jusqu’à sa mort par le Serbe Dimitrijevitch, alias Dimitri qui, après avoir publié « Les Hauteurs béantes » du russe Zinoviev, fit connaître toute la littérature slave, et auquel Christopher Gérard rend d’ailleurs un hommage justifié dans « Nobles voyageurs ».