Le premier ministre palestinien, Mohammed Shtayyeh, a présenté lundi matin sa démission ainsi que celle de son gouvernement au président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas. C’est le premier véritable changement dans le paysage politique palestinien figé depuis le 7 octobre. «J’ai présenté la démission du gouvernement à monsieur le Président le 20 février et je la remets aujourd’hui par écrit. Cette décision est due aux évolutions politiques, sécuritaires et économiques liées à l’agression contre le peuple Palestinien dans la bande de Gaza et à l’escalade sans précédent en Cisjordanie et dans la ville de Jérusalem. »
Chef du gouvernement de l’Autorité Palestinienne depuis 2019, Mohammed Shtayyeh était impopulaire au même titre que l’AP et pour les mêmes raisons, détesté par la population non seulement pour la coopération sécuritaire de son gouvernement avec l’État hébreu, mais aussi pour la mauvaise gouvernance- racket et népotisme- et la corruption endémique qui règnent dans les territoires occupés. Mais tout indique que Shtayyeh a surtout servi de fusible à un Mahmoud Abbas soutenu par Washington mais de plus en plus menacé dans ses fonctions par les mouvances islamistes de l’échiquier politique palestinien, à savoir le Hamas et le Djihad islamique : « ce remaniement ministériel signifie que l’AP est sous pression de la part de ses alliés régionaux et internationaux pour se conformer aux plans de l’après-guerre », analyse Tahani Mustafa, chercheuse au International Crisis Group. Selon elle, cette démission peut être interprétée comme un premier pas vers une «Autorité palestinienne revitalisée» voulue par l’administration américaine dans la perspective de l’après-guerre. Du côté palestinien, elle peut être interprétée comme un signal d’ouverture possible de l’Organisation de Libération de la Palestine visant à amadouer les factions rivales de l’Autorité Palestinienne, toujours le Hamas et le Djihad Islamique, dans la perspective d’un dialogue d’unité nationale et d’un nécessaire consensus entre les Palestiniens», fondé sur «une large participation» et «l’unité des rangs». Entre les lignes, il s’agit aussi d’assurer la réimplantation de l’Autorité Palestinienne dans la bande de Gaza de l’après-guerre, d’où elle a été expulsée manu militari lorsque le Hamas y avait pris le pouvoir en 2007.
Concrètement, le Hamas ne devrait pas être représenté dans le nouveau gouvernement dont la composition présentera un caractère technocrate et apolitique. Elle devrait être annoncée d’ici à la fin de la semaine. Sans surprise, c’est un proche du Fatah de Mahmoud Abbas mais officiellement plus ou moins neutre afin de faire le lien entre les différentes factions palestiniennes, Mohammad Mustafa, président du conseil d’administration du Fonds d’investissement palestinien, qui est pressenti pour diriger la nouvelle équipe gouvernementale. En échange d’un programme de réformes ambitieuses visant à obtenir le soutien de la population, les Etats Unis se chargeraient pour leur part de convaincre les pays arabes réticents vis-à-vis du Hamas et de toute forme d’influence des frères musulmans comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou encore l’Égypte de soutenir un tel Cabinet.
Enfin, selon le media en ligne Sky News Arabia repris par l’Orient-le Jour, après des pourparlers inter palestiniens au Caire puis une visite de Mahmoud Abbas à Doha mi-février, le Qatar, qui accueille sur son territoire le chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh, a fait part à Ramallah de l’acceptation par le mouvement islamiste de la formation d’un gouvernement technocrate chargé de reconstruire Gaza et d’y rétablir la sécurité après la guerre, à condition que cela soit lié à un programme politique clair en vue de la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967. La grande inconnue demeure la position de l’Etat hébreux et « si l’on se base sur les déclarations précédentes du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, il est peu probable qu’un changement au sein de l’AP suffise pour son gouvernement actuel, qui souhaite réoccuper Gaza et rejette simplement tout État palestinien », nuance Tahani Mustafa. Enfin, inconnue également la position du Hezbollah libanais qui est manifestement en train de faire monter dangereusement les enchères au Sud Liban dans un jeu sinistre où il reprendrait la main d’un Hamas affaibli par 4 mois de guerre ininterrompue au moment où ce dernier est obligé de lâcher du lest.
Sophie Akl-Chedid