avortement 

Constitutionnalité de l’avortement : pouvoirs publics et droits individuels

La constitution des États-Unis (1787) a, dès l’origine, eu un objet bien différend des constitutions que connaîtra la France, s’agissant d’un État fédéral créé ex nihilo et où devaient être ménagés les intérêts et aspirations des États ainsi que le statut des citoyens appelés à s’unir en un peuple.

Aussi, dès 1791 seront ajoutés des amendements, dont le célèbre Premier amendement sur la liberté de religion et d’expression, privant le Congrès (Parlement) de toute compétence législative à cet égard.

Le cas de la France, État centralisé, unifié et ancien, est bien différend, même si un goût révolutionnaire immodéré pour les grands principes a parfois conduit, en imitation des Américains mais à titre déclamatoire, à faire précéder la substance de la Constitution d’un préambule en manière d’exposé des motifs. Tel est le cas de notre constitution de 1958, rappelant notamment la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, ce qui était resté sans graves conséquences jusqu’en 1971.

Cette année-là, le Conseil constitutionnel a commis un véritable coup d’État juridictionnel, avec la jurisprudence dite du « bloc de constitutionnalité ». Le Conseil jugeait ainsi que le préambule, avec ses philosophades partiellement recyclées de la IVème république, relevait du droit positif (c’est-à-dire concrètement applicable).

L’individu, objet notamment de la déclaration de 1789, devenait ainsi un acteur et sujet de droit à égalité avec les institutions politiques, indifférent à l’intérêt général.

« Droit à l’avortement » et constitution 

La question de l’avortement est une bonne illustration de la pusillanimités des prétendues « valeurs républicaines ». Initialement crime (code pénal de 1810), devenu délit, puis amendé d’une dépénalisation encadrée (loi Veil de 1975), avant d’être élevé à la dignité de liberté publique subventionnée.

Or, la Constitution est la loi fondamentale de la République, aussi est-elle dite rigide, c’est-à-dire formellement plus difficile à modifier que la loi ordinaire votée, elle, par le jeu des aléas des majorités parlementaires ou le référendum. D’où l’idée totalitaire de cadenasser cette nouvelle liberté publique en l’insérant dans la Constitution dont l’objet essentiel a cessé, depuis le séisme de 1971, de fonder l’organisation des pouvoirs publics.

La nouvelle liberté publique, purement individualiste, est ainsi revendiquée comme une vérité immarcescible, la Vérité (grand « V»), à l’image de celle d’ordre théologique que certains de ses opposants invoquent.

Curieux retour des choses, à Rome le droit de vie ou de mort sur le nouveau né était la prérogative arbitraire du Pater familias ; on voudrait aujourd’hui en donner la licence in utero à la seule génitrice potentielle, réputée à tout jamais sans obligations ni famille.

Mais surtout on prétend, dans un esprit bien progressiste, attaché au « sens de l’histoire » et aux félicités à venir (« lendemains qui chantent »et autres fadaises eschatologiques temporelles), établir un système dont la métaphore est une roue à cliquet qui nepourrait tourner que dans un sens…

Le dessein est critiquable et nos progressistes et leurs compagnons de route méprisés (RN inclusi !) feraient mieux de s’attacher à ce que la France ne devienne pas, d’ici la fin du siècle, une république islamique, car avec ou sans Constitution, ce sera la Charia qui s’imposera. Et l’avortement redeviendra crime…

Propension des parlementaires à abdiquer leurs prérogatives

En acceptant le projet de constitutionnalisation du droit à l’avortement, les parlementaires se dessaisissent d’un pan de plus de leurs prérogatives de législateur démocratique, au profit du Conseil constitutionnel, composés de personnalités non élues, mais nommées par faveur politique (d’où les vieux chevaux de retour qui y pantouflent).

C’est devenu une manie, chez les parlementaires français, d’abdiquer les droits et prérogatives pour lesquels ils ont été élus, se pliant avec obséquiosité aux injonctions des juges. Mélenchon avait raison d’essayer de s’opposer à une perquisition dans ses locaux politiques, mais il n’a pas été soutenu par ses pairs et s’est dégonflé devant le Tribunalii.

Hier la « valeur » républicaine historique primordiale était en effet la séparation des pouvoirs dont la transgression exposait le juge aux poursuites criminelles pour forfaiture ; maintenant c’est l’avortement, le bon fonctionnement des pouvoirs public s’effaçant derrière l’intérêt de l’individu.

Au lieu de réagir contre le coup d’État juridictionnel de 1971, nos politiciens l’ont accompagné et n’ont eu paradoxalement de cesse d’élargir les compétences du Conseil constitutionnel, Sarkozy en en ayant fait une imitation servile de la Cour suprême américaine (2008).

C’est ainsi que le Conseil constitutionnel, à l’origine organe accessoire de régulation technique, est devenu le législateur suprême, nanti de l’irresponsabilité du souverain. Au train où vont les choses, aurons-nous encore longtemps besoin d’assemblées parlementaires élues ?

Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel (1997-2007), constate que, avec la dérive de cette juridiction en folie : « Ce juge démiurge, non content d’imposer la prépondérance des droits individuels sur l’intérêt général, en énonce de nouveaux … produisant … un droit supralégislatif ineffable et arborescent, élaboré sans garde-fou à partir des formulations imprécises qui abondent dans nos textes constitutionnels ou conventionnels.iii »

Le danger est que ce détestable gouvernement de juges devienne leur dictature. N’est-ce pas de la démocratie dont on avorte ?

Eric Delcroix

i12 députés RN seulement, sur 88, ont voté contre. Il est vrai que ce parti n’a plus de doctrine et privilégie donc la com’.

iiQue ne dirait-on pas si une commission parlementaire prétendait perquisitionner le cabinet d’un juge, pour voir si le justice est bien rendue ?

iiiLa Démocratie au péril des prétoires, Gallimard, 2022, page 33.

(4 commentaires)

  1. Bonjour
    Est-il possible de trouver la liste des votes des parlementaires concernant la constitutionnalisation de l’avortement ?
    Faudra s’en souvenir.
    jp Garbe

    1. Cette liste est disponible sur le site
      https://www.francetvinfo.fr/societe/ivg/infographies-inscription-de-l-ivg-dans-la-constitution-comment-ont-vote-vos-deputes-et-senateurs-avant-le-congres_6397876.html
      12 députés RN ont voté contre, 26 se sont abstenus, 16 n »‘ont pas participé au vote et 46 ont voté pour.
      Au Sénat, les trois sénateurs RN ont voté pour.
      Est-ce pour cela qu’on, les avait élus ?
      En tout cas, toutes mes félicitations au grand juriste qu’est Me Eric Delcroix pour son article si pertinent et si lumineux.

  2. Maître Eric Delcroix, sans doute l’un des derniers, sinon le dernier, de ces grands avocats flamboyants, tribun hors pair, honneur et conscience véritable de la magistrature debout, issu et dominant de la tête et des épaules ses confrères, bien plus Caïn qu’Abel, ceux-là ont innové en nombre et depuis des lustres la magistrature couchée. Dogmatiques plus que juristes, creusant un peu plus chaque dans les strates de la médiocrité et de la lâcheté, espérant, faisant « carrière, » y trouver du pétrole. Comme toujours, l’honneur est sauf, par la grâce de quelques grands magistrats qui ne sont comme toujours, jamais en majorité.

  3. « C’est un jour qu’Emmanuel Macron a organisé à sa propre gloire », a déclaré Marine Le Pen à Versailles le 4 mars, à l’issue de la triomphale adoption de la constitutionnalisation de l’avortement, votée par les deux Chambres réunies en Congrès. La présidente du groupe RN et candidate déclarée à la présidence de la République a raison. Mais pourquoi a-t-elle par son vote participé à cette mascarade et donc à la glorification de Macron ainsi d’ailleurs qu’à la victoire que fut ce vote presque unanime pour la gauche et notamment La France insoumise, en pointe dans ce combat prétendument « pour les femmes » ?
    Le 4 mars au soir, la jubilation régnait d’ailleurs sur le plateau de France TV Info (canal 27) où dominent les bolchos. Epanoui, le « commentateur (ou commissaire ?) politique » de la chaîne, Gilles Brunstein, a déclaré que « cette réforme voulue par Macron s’inscrivait dans la lignée des grandes réformes sociétales initiée par Mitterrand avec l’abolition de la peine de mort ». En effet : dans les deux cas, c’est un feu vert donné aux assassins.
    Et pendant qu’avec 232 000 avortements en 2023, la France a connu un nouveau record, les femmes allogènes procréent toujours plus, les Algériennes ayant même en France un taux de fertilité supérieur à celui de leurs sœurs restées au pays. Est-ce cette bascule que veulent Mme Le Pen et les 45 députés RN qui ont voté comme elle ?

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