Au lendemain de l’explosion criminelle du port de Beyrouth en août 2020, Emmanuel Macron s’est précipité au chevet d’une ville exsangue, choquée par la plus grande détonation au monde depuis Nagasaki et Hiroshima et par la vison dantesque de milliers de personnes errant dans les rues éventrées pour rejoindre un hôpital, un centre de la Croix rouge ou même une clinique vétérinaire et tenter de stopper l’hémorragie mortelle, de recoudre des plaies béantes ou de réanimer leurs proches.
Devant 6500 blessés, près de 300 morts, 300 000 sans-abris et 4 millions de libanais hébétés, il a osé lancer un « je vous ai compris » en appelant ce peuple meurtri à exiger des reformes, à se débarrasser des corrompus et des responsables des drames d’envergure biblique qui frappent le Liban depuis 2019, tout en rencontrant ces mêmes responsables qui depuis 2014 stockaient ou avalisaient le stockage de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium au cœur des quartiers chrétiens de la capitale. « En même temps » on encense l’opposition, on appelle à des réformes, on sermonne à qui mieux mieux mais on se garde bien de mentionner la responsabilité directe du Hezbollah et on n’oublie pas de présenter aux autorités complices du crime le très riche et influent patron du géant maritime français CMA-CGM, Rodolphe Saade, qui se verra plus tard attribuer la gestion future du port de Beyrouth. Pour Anthony Samrani dans l’Orient-le jour cette semaine, « Paris était prêt à consentir à tout un tas de compromis pour éviter l’effondrement complet du dernier pays dans lequel il peut encore se targuer d’avoir une influence au Moyen-Orient ». Trois ans plus tard, rien n’a été fait, le monde change à toute allure, les puissances régionales et mondiales révisent leurs alliances mais la France s’entête dans une voie sans issue, ménageant la chèvre et le chou quand il faudrait trancher dans le vif. Emmanuel Macron, qui appelait encore en décembre dernier les Libanais à « changer de leadership » et à « dégager les responsables politiques qui bloquent les réformes », se retrouve aujourd’hui à promouvoir la candidature présidentielle du très pro Hezbollah Sleiman Frangieh. C’est ce même Frangieh – dont le bras droit Youssef Fenianos, ancien ministre des Transports mis en cause en 2021 par le juge d’instruction chargé d’enquêter sur l’explosion du Port de Beyrouth pour « intention présumée d’homicide, négligence et manquement » et qui a jusqu’à ce jour systématiquement refusé de se rendre aux convocations du juge – qui était convié vendredi dernier à Paris où Macron l’a prié « d’offrir des garanties » à l’Arabie Saoudite et de la convaincre ainsi de lever son veto sur sa personne. En soutenant ainsi ouvertement le candidat du Hezbollah, la France joue le jeu de la milice chiite et renforce considérablement sa position dans les négociations qui se jouent à huis clos pour mettre un terme au vide présidentiel. Ce faisant, Paris entrave la possibilité de faire élire rapidement un président à équidistance de Téhéran et Riyad ainsi que la nomination d’un Premier ministre réformateur soutenu sans réserve par le royaume saoudien dont l’appui financier est indispensable pour rétablir un tant soit peu la situation économique du Liban. Manifestement, le président français compte sur le rapprochement irano-saoudien pour tenter de s’offrir une victoire diplomatique sur le dos des libanais tout en ménageant ses espoirs de profiter un jour prochain du pétrole et du gaz iraniens. En attendant, alors que le Patriarche maronite a invité tous les députés chrétiens à le rejoindre Mercredi Saint pour une retraite spirituelle, le Liban n’espère plus que du Ciel et de ses Saints.
Sophie Akl-Chedid