J’ai sur mon bureau un ouvrage sorti en mars chez Auda Isarn, intitulé Les quatre justiciers. Ces quatre justiciers-là ne s’appellent pas Marine Le Pen, Jordan Bardella, Marion Maréchal et Eric Zemmour. Il s’agit en fait de quatre héros d’un roman policier, un roman qui constitue le 23e de la collection « Le lys noir ». Cette collection ne prétend pas encore à la notoriété de la « Série noire » ou du « Fleuve noir », mais elle fait son trou, tranquillement, dans l’univers du polar.
Le polar, parlons-en : c’est une littérature réputée masculine, voire macho (cf San Antonio, par exemple). Une littérature ou une sous-littérature, selon les opinions. Mais l’hommage rendu à Simenon par le biais de sa publication en Pléïade prouve que le roman policier peut conduire lui aussi à la gloire littéraire.
C’est mon grand-oncle François Brigneau, qui m’a fait aimer les polars. J’étais personnellement davantage attiré par Brasillach, qu’il m’avait fait connaitre aussi, mais également par Romain Gary ou Assouline, et plus encore par les « hussards », en tout état de cause par le roman de construction classique, exprimant des passions généralement plus nobles que celles des « héros » de polars. L’oncle Brigneau avait écrit des romans policiers, au début de sa carrière, il m’a offert leurs rééditions, en 1994, et je me suis sentie obligée de les lire. J’avoue y avoir trouvé un certain plaisir. En ce onzième anniversaire la mort de ce cher Tonton, je me souviens de la surprise qu’a constitué la lecture de ces Pol Monopol, truffés d’argot. Il y a une petite musique dans la langue des voyous de Pantruche (Paris, en argot). Il y a une poésie, qui m’a ensuite poussée à lire Simonin en « Série noire ». Il parait que les jeunes femmes d’aujourd’hui (comme celles d’hier, d’ailleurs) ne lisent pas ce genre de livre. C’est bien possible, mais je ne remercierai jamais assez mon cher grand-oncle de m’avoir fait découvrir cet univers littéraire-là.
Correspondant de guerre en 1914
Mais revenons aux Quatre justiciers. C’est donc un polar, signé par Edgar Wallace, la réédition, en fait, d’un roman paru au début du siècle précédent. Je ne connaissais rien d’Edgar Wallace, si ce n’est le nom, bien entendu. Je le savais prolifique auteur de la collection « Le Masque », dont Agatha Christie fit les beaux jours ; j’avais sans doute lu un ou deux polars d’Edgar Wallace dans ma jeunesse, mais il ne m’en restait aucun souvenir. Aussi je me suis d’abord reporté à l’indispensable Dictionnaire du roman policier de Jean Tulard, dont j’admire tant l’éclectique érudition. Tulard nous fait un portrait plutôt sympathique du personnage : il s’était engagé dans l’armée britannique. Il sera correspondant de guerre en 1914, touchera à la politique entre les deux guerres, et mourra en 1932, à l’âge de 57 ans, ce qui était bien jeune, même pour l’époque. Tulard se demande si on peut vraiment le considérer comme un auteur de polar. Ne s’apparenterait-il pas plutôt au genre du roman d’aventure, comme il en pullulait à l’époque ? Claude Mesplède, lui, le considère comme « le plus grand auteur de thrillers ».
Les quatre justiciers, paru en 1905, est son premier polar, qui sera suivi par… cent-soixante-treize autres, sans compter vingt-trois pièces de théâtre, et près de mille nouvelles ! C’est une littérature qui ne fatigue pas le cerveau : les héros sont héroïques et les bandits méprisables. On se laisse guider jusqu’à la fin, et la fin, c’est toujours la mort pour les malfrats. Mais je voudrais souligner la qualité des couvertures de chacun des romans du « Lys noir ». Rien que pour elles, j’en recommande l’achat.
Vous résumer celui-ci ? Impossible ! Des justiciers inflexibles poursuivent les corrompus aux quatre coins de la planète, et les liquident avec beaucoup d’ingéniosité, pour la plus grande satisfaction du lecteur. Hélas, il ne s’agit que d’un roman !
Madeleine Cruz
Les quatre justiciers, par Edgar Wallace, éd. Auda Isarn, 182 p., mars 2023.