Beaumont-en-Verdunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme, Douaumont, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Samogneux, Louvemont-Côte-du-Poivre, Ornes, Vaux-devant-Damloup… Sauf la terre et les morts, il ne reste plus rien. Même pas des vestiges, à peine une pierre, un bout de murette, plus rien… Des souvenirs de ces neuf villages fantômes Morts pour la France, où le nom des anciennes voies, des feus lieux de vie, comme l’épicerie, l’école, l’église, la rue saint Nicolas sont inscrits sur des pancartes entre les buttes, les mottes, les chemins creux et les arbres crevés eux aussi, coupés ras à la tronçonneuse, ajoutant encore un peu plus de tristesse au tableau, tous ces feuillus plantés après l’armistice, ayant été atteints par un parasite funeste récent (scolytes, petits insecte-sapeurs creusant des galeries dans les épicéas). Quel mauvais présage en ces temps incertains !
« Pour celui qui en revient, Verdun c’était bien, pour celui qui en est mort, Verdun c’est un port » chantait Michel Sardou et c’est vrai qu’il y a un port de plaisance dans cette petite ville de grand renom (18 000 habitants) arborée et attachante, que l’on peut observer depuis le pont Fernand-Legay. A gauche sous le regard, il subsiste deux tours qui ressemblent un peu à celles de La Rochelle, elles protégeaient la porte de la cité. A droite on devine cinq grands soldats de pierre, un cavalier, un sapeur, un biffin, un artilleur et un fantassin de la Territoriale, unité militaire composée essentiellement d’hommes âgés de 34 à 49 ans, considérés comme trop âgés et plus assez entraînés pour intégrer un régiment d’active ou de réserve. Il manque à mon goût un marin et pourquoi pas breton (ils ont fait merveille à Dixmude), un aviateur (souvenons-nous de Guynemer, René Fonck, ou Armand de Turenne), mais aussi un chasseur chapeauté de sa tarte ou en « tenue de facteur ». Ces statues, élevées en 1928 sur une construction militaire ordonnée naguère par le maréchal de Vauban contemplent à jamais la Meuse endormeuse chère à Péguy (Mort pour la France le premier jour de la première bataille de l’Ourcq, le 5 septembre 1914) et forment le rempart du parc Japiot, semblablement à la devise de Verdun, « On ne passe pas ».
Verdun, ce nom qui sonne et qui résonne comme Camerone (référence gardée envers Jean-Pax Méfret) est une ville cernée par l’eau, la Meuse, ses rus tout autour, les canaux, les étangs qui l’étreignent (la pêche à l’aimant y est formellement interdite, sur tout le secteur). Elle est dominée par une forêt verte que l’on peut voir d’ici. Ce bois refleuri, essarté naguère sous les obus d’artillerie, déchiqueté par la mitraille, tout mouillé chaque jour par la brume matinale ou nuiteuse qui nous dit : « Souviens-toi ! », mais aussi : « La guerre est un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » Dixit Paul Valéry. Le champ de bataille de Verdun, il est là haut, derrière, au nord-est. La route est bien indiquée, elle sinue parmi des herbages désormais paisibles et monte dru. Nous passons le fort de Souville, avant de cheminer un instant, en silence, à Fleury-devant-Douamont. J’allume un’ pipe comme l’ont fait avant moi, sur ce lieu les anciens… Il y a du brouillard partout et franchement, la tristesse me gagne. Je pense à Charles Péguy encor’… « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, Mais pourvu que ce soit pour une juste guerre. Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre. » Et puis me vient un chant scout dans la tête et bientôt sur les lèvres. « Le front penché sur la terre / J’allais seul et soucieux / Quand résonna la voix claire / D’un petit oiseau joyeux / Il disait : Reprends courage / L’espérance est un trésor / Même le plus noir nuage à toujours sa frange d’or. ”
Bien des oiseaux chantent sur place, ils ignorent tout, ces innocents ! Ils sautillent, crou-crou, pic-pic-pic, flu-flu-flu, je connais bien leur langage parce que saint François d’Assise est mon saint patron (il parlait aux frères loups comme je parle chaque jour à mes quatre brebis, mais elles ne m’écoutent pas ou si peu, n’est pas saint François d’Assise qui veut). Nous voici maintenant devant l’ossuaire — où reposent les corps de 130 000 soldats français et allemands, fraternels adversaires.
Le candidat à l’élection présidentielle de 1981 François Mitterrand avait fait une promesse de campagne qu’il n’a jamais tenue : le transfert du corps du Maréchal à Douaumont. Ayant obtenu la décoration de l’ordre de la Francisque gallique (salut Camille) en 1943, il se devait bien de faire briller plus tard la tombe du vainqueur de Verdun, comme tous les autres présidents de la République avant lui, chaque 11 novembre, à l’île d’Yeu (où nous irons bientôt). C’est une chapelle offerte par les catholiques de France, de Belgique, du Canada, de Suisse et des Etats-Unis où il faut s’acquitter de 6 € pour se recueillir. Très peu pour moi. Je préfère prier gratuitement dans le jardin de tombes innombrables en contrebas, rangées en ordre militaire.
Il y a des ifs (arbre immortel sacré dont beaucoup de cimetières sont garnis depuis toute éternité) qui cernent un champ de croix et aussi des tombes musulmanes. Sur chaque sépulture, il y a un nom, artilleur Lefébure, Gabriel Untel, Aimé Lepetit de tel régiment, Armand Duquesne de tel bataillon, mort le 17 juin 1917. Pour tous ces patronymes, combien de veuves, d’orphelins, de mamans, de fiancées éplorés? Et tous ces animaux sans maîtres et sans sépulcres, Morts pour la France eux aussi, ces chevaux légers ou lourds, ânes si doux, mules opiniâtres, chiens d’attelage, chiens transmetteurs, chats mascottes… Et pigeons voyageurs, ne les oublions pas. En particulier celui-là, le dernier pigeon du commandant Raynal (N° 787-15). Le message qu’il transportait depuis le fort de Vaux était rédigé ainsi : « Nous tenons toujours mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuse. Il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite communication optique par Souville qui ne répond pas à nos appels. C’est mon dernier pigeon.” Le pauvre a accompli sa tâche et son dernier devoir avant de crever de ses blessures (il a obtenu quand même une citation).
C’est vrai que j’ai une tendresse particulière pour ce fort de Vaux dont l’aura a bercé toute mon enfance. Ma grand-mère maternelle Suzanne habitait avec toute sa fratrie, un château (Fief de la Chevalerie donné par Henri IV à Robert de Hanyvel vers 1560) rue du Fort de Vaux à Saint-Étienne-du-Rouvray. Il existait un grand nombre de cartes postales en noir et blanc concernant ce monument et je les contemplais. Mon oncle Maurice Valois était camelot du roi (comme il se doit avec un blase pareil), il occupait le dernier étage, mon autre oncle Maurice qui habitait en dessous, était Croix de feu. Comme chantait Fernandel Ohlalalala quelle famille… Qui plus est, mon grand-père s’appelait Raymond Devaux. J’ai cru long de temps que mon pépé était célèbre, à tel point qu’on attribuât une rue à son nom, celle qui menait justement à cet ancien manoir familial. C’est lui qui m’a montré ses pièces de collection quand j’étais petit enfant. Il y avait un louis d’or abîmé et quelques sous en ersatz de métal gris clair (alliage cupronickel) sur lesquels il était écrit : « Travail, Famille, Patrie ». Innocent comme je suis, j’ai dit que c’était bien comme devise. Mon pépé et ma mémé se sont regardés et n’ont rien trouvé à redire.
Comme Michel Sardou, encore lui, le chantait dans sa chanson éponyme, et pareils à beaucoup de Gaulois, « J’avais un vieux à Verdun et comme je n’oublie jamais rien, je reviens… ». Cette terre qui ne ment pas, venez la contempler, venez vous ressourcer, venez vous en nourrir comme on nourrit sa foi.
Franck Nicolle, l’Espérance du tour de France.
Où dormir ? : Chez Rockette. Superbe appartement, trois chambres double, cuisine équipée, salle à manger pour un régiment (ou bataillon pour les chasseurs), salon, et tout et tout.
Où manger ? : Le propriétaire des lieux saura vous accueillir et vous guider.