È finita la commedia, ou plutôt son premier acte qui, après s’être ouvert le 9 juin sur l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, au soir d’élections européennes catastrophiques pour le Pouvoir, et donc la démission du gouvernement en place, s’est terminé le 5 septembre, près de trois mois plus tard, avec l’annonce de la solution Barnier. Tous les autres candidats putatifs à Matignon ayant été éliminés faute d’une majorité pour les investir.
Cheval de retour et dernier recours
À l’ambitieux et juvénile Gabriel Attal (âgé de 34 ans quand il fut nommé Premier ministre) succède donc un cheval de retour septuagénaire qui, aux yeux des potentiels présidentiables déjà en lice, présente l’avantage d’être trop chenu (72 ans) pour briguer la magistrature suprême. Encore que… On se souvient qu’en 1958, Charles de Gaulle soutenait que « ce n’est pas à son âge [67 ans] qu’on devient dictateur ». Ce que la suite devait infirmer. Certes, Michel Barnier a lui aussi rêvé d’un « destin national » puisqu’il s’était présenté aux primaires républicaines de 2022 contre les prétendants Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, cette dernière l’emportant finalement. Mais l’échec justement de Pécresse, humiliée par un misérable score de 4% seulement des voix au premier tout de la présidentielle, et la descente aux enfers qui s’ensuit depuis pour Les Républicains ont ramené à la raison l’ancien benjamin de l’Assemblée nationale — en 1978, Emmanuel Macron venant à peine de naître.
Atouts supplémentaires pour Barnier, même si, miracle du principe de réalité, il s’est un peu musclé sur le tard, il est un parangon de la droite molle et, plusieurs fois ministre (dans les gouvernements Chirac, Balladur et Raffarin et Fillon), puis commissaire européen chargé ensuite de démêler l’imbroglio du Brexit, cet homme calme et bien élevé est rompu à l’art de la négociation. Donc des compromis. Et des compromis, il va devoir beaucoup en faire pour tenir ne serait-ce que quelques semaines.
Une « élection volée », oui, mais aux nationaux
Le patron des socialistes Olivier Faure annonçait en effet «une crise de régime » après la nomination du nouveau Premier ministre, « nommé avec la permission et peut-être sur la suggestion du Rassemblement national », fulmine Jean-Luc Mélenchon qui, clamant que « l’élection a été volée aux Français », appelle donc les « forces populaires » à « la mobilisation la plus puissante possible » dès cesamedi. S’achemine-t-on vers une cascade de rassemblements et de grèves ?
Que l’élection ait été volée aux Françaisest une évidence. Mais les volés ne sont pas les candidats et les électeurs du Nouveau Front populaire. Ce sont ceux du Rassemblement national et de l’« Union des droites pour la République » fondée par Éric Ciotti qui, crédités de 210 sièges au minimum après le premier tour des législatives, n’en ont obtenu que 143, victimes d’un formidable tir de barrage (baptisé « sursaut républicain ») orchestré par la gauche et une bonne partie du centre-droit ayant rallié l’hallali, à l’image du président des Hauts-de-France Xavier Bertrand qui ne se connaît qu’« un seul ennemi, le Rassemblement national ».
Et c’est la même coalition qui, lors de la répartition des présidences et autres postes de responsabilité (de questeurs notamment) à l’Assemblée nationale, n’en a attribué aucun au RN, pourtant premier parti de France avec 9,3 millions de suffrages et 126 députés. N’en déplaise au NPF qui revendique ce titre alors qu’il n’est qu’un conglomérat, d’ailleurs en pleine confusion ainsi qu’en témoignent les bisbilles au sein du PS, des Verts et même de La France Insoumise où l’autorité du timonier Mélenchon et de son roquet Mathilde Panot est de plus en plus contestée.
Mélenchon : moi grâce au chaos
Au demeurant, quand le chef de l’État avait reçu le 1er septembre Bernard Cazeneuve, pourquoi l’éventuelle nomination de cet ancien Premier ministre de François Hollande avait-elle été rejetée par le NPF, au grand dam du premier secrétaire délégué du parti socialiste Nicolas Mayer-Rossignol qui, contrairement au premier secrétaire Olivier Faure, estime que la gauche a « failli à sa culture de gouvernement », en ne cherchant pas « tous les compromis possibles », provoquant ainsi un « irresponsable gâchis » ? Si grave que, pour la présidente socialiste d’Occitanie Carole Delga, « le gouvernement est désormais dans les mains des groupes parlementaires d’extrême droite [sic], une première honteuse [resic] sous la Ve République ».
Ne renversons pas les rôles : cette première est tout simplement due à la volonté de Mélenchon d’imposer à l’ensemble du peuple français — dont il représente moins d’un sixième — « le programme, le programme, le programme » de son cru, et la candidate à Matignon sortie de son chapeau : l’insupportable Lucie Castets dont la vacuité et surtout l’arrogance, égale à celle de Macron, exaspérait les Français comme l’ont montré les sondages. L’insistance mise sur la prétendue légitimité de Castets camouflant mal le refus de Méluche d’impliquer les élus du « peuple de gauche » dans la nouvelle cohabitation afin de ne compromettre son propre avenir présidentiel dans la perspective de la démission, qu’il estime inéluctable, d’Emmanuel Macron.
Une confiance sous conditions
Que le néo-Front populaire ne vienne donc pas se plaindre qu’apparaisse maintenant en « faiseur de roi » Marine Le Pen qui, tout en déplorant l’européisme viscéral de Barnier (qui s’est dit tout récemment « assez fier que le président de notre pays soit un président patriote et européen », un oxymore) a décidé de mettre fin à la paralysie de la France en donnant un aval de principe au choix de ce « fossile » (cf. le RN Jean-Philippe Tanguy) sous réserve de trois conditions : 1) « qu’il ne nous traite pas comme des pestiférés, qu’il respecte nos élus ». 2) Qu’il prenne « l’engagement formel de réformer le mode de scrutin pour l’élection des députés » (réforme chaudement soutenue par François Bayrou). 3) Qu’il « n’aggrave pas le problème de l’immigration, de l’insécurité » et « ne rase pas les classes populaires et modestes dans son budget ».
L’ancienne présidente du RN pensait-elle à l’abrogation, réclamée par son parti comme par LFI, de la dernière réforme des retraites portant l’âge minimal à 62 ans alors que le nouveau Premier ministre est partisan du départ à 65 ans ? En revanche, dans sa première prise de parole, très brève (cependant que, lors de la passation de pouvoir, Attal a tenu le crachoir près d’une demi-heure avant de se lancer dans une interminable et triomphale déambulation de Matignon au Palais-Bourbon), il s’est engagé à « respecter toutes les forces politiques, je dis bien : toutes les forces politiques », à « assurer la sécurité au quotidien » et la « maîtrise de l’immigration ».
Mission kamizaze
Mais, nommé, Barnier sera-t-il pour autant intronisé ? Le NPF votera évidement la censure, mais risquent de l’imiter certains députés du MoDem hostiles à tout ce qui évoque le RPR, voire d’Ensemble, l’ancienne majorité présidentielle réduite à une minorité. En effet, l’aile gauche de ce qui fut la macronie voit d’un très mauvais œil celui qui, alors député, vota en 1981 contre la dépénalisation de l’homosexualité puis contre le remboursement de l’avortement et, interrogé il y a un an tout juste par La Une, dénonçait la présidence Macron comme « solitaire et arrogante » et lui conseillait dedavantage « s’appuyer sur l’Assemblée, les collectivités locales, les syndicatsmais aussi l’Église »pour bien fonctionner.
Auquel cas tout serait à recommencer alors que le Budget doit être bouclé avant le 1er octobre. Comment sortir du cycle infernal engendré par la folle dissolution voulue par le démiurge de l’Elysée. Le Mozart de la finance était censé rendre à la France toute sa richesse et toute sa prospérité d’antan. En accélérant les déficits et la désindustrialisation, donc le chômage, et en accentuant encore à son seul profit la présidentialisation du régime, il n’aura réussi qu’à démontrer les vices de la Vème République et à en précipiter la fin. Si Barnier a accepté une mission kamikaze, Macron devrait, lui, se résigner au seppuku.
Camille Galic
« À travers Michel Barnier, Marine Le Pen embrasse son ennemi pour mieux l’étouffer », « Michel Barnier est sous la tutelle de Marine Le Pen », « Michel Barnier, un Premier ministre à la merci de Marine Le Pen ? », « Le RN dispose de l’épée de Damoclès avec la nomination de Michel Barnier à la tête du gouvernement », « Avec Michel Barnier Premier ministre, Emmanuel Macron se soumet-il au RN ? », « Michel Barnier gouverne, Marine Le Pen décide », etc.
Voici avec quels titres (négatifs dans son esprit) la presse française a annoncé l’arrivée à Matignon de l’ancien négociateur du Brexit. Au contraire, aux yeux du grand public qui en avait marre de l’interminable psychodrame auquel on a assisté depuis le scrutin européen, le RN toujours présenté comme le pitbull dans le jeu de quilles est apparu raisonnable et responsable, à l’opposé du sectarisme et des outrances du conglomérat mélenchonien. Donc comme un « parti de gouvernement ».
L’avenir nous dira si Mme Le Pen (dont je ne suis pas un fan) a bien joué.