Catherine Rouvier, Docteur d’Etat en Droit public et Sciences politiques, maître de conférences des Universités, a été conseillère municipale et territoriale à Aix-en-Provence de 2014 à 2020, ce qui lui a permis d’écrire cet essai mi-pratique mi-théorique, destiné à ouvrir les yeux des Français.
— Qu’est-ce qui vous a décidé à compléter votre expérience de professeur en Sciences politiques par celle d’une candidate à l’élection ?
Paradoxalement, c‘est plus ma formation de constitutionnaliste qui m‘a conduit à m’interroger sur cette anomalie de la démocratie française : un parti non pas interdit – comme le fut un temps le parti communiste – mais ostracisé.
Ostracisé hier au point qu’en 1998 le chef de l’Etat – Jacques Chirac – a démis de leur mandat de Président de Région, en 1998, quatre élus « parce qu’ils avaient été élus avec les voix du Front National » . Ostracisé aujourd’hui encore : puisque le 19 décembre 2023 l’actuel Chef de l’Etat – Emmanuel Macron – a dit « refuser de considérer comme voté » le texte de la loi immigration s’il « ne pouvait être adopté qu’avec les voix des députés du Rassemblement National » à l’Assemblée. J’ai voulu savoir. Comprendre.
— Quel est votre souvenir le plus marquant de vos diverses campagnes électorales, d’abord dans le Nord puis à Aix ?
Le souvenir de contrastes, dans les deux cas.
Dans le Nord, l’accueil incroyablement chaleureux qu’on nous réserva au « mondial de la moto » et autres fêtes populaires, mais les démarches infructueuses pour avoir une salle de réunion ou une équipe constituée. L’importance de la mine : la coexistence de descendants des Polonais venus au début du XXe siècle travailler dans la mine et des descendants d’Algériens arrivés dans la seconde moitié du siècle. La dévotion des militants du petit peuple autochtone des corons pour la famille Le Pen, succédané républicain de l’attachement populaire à la famille royale en monarchie.
A Aix en Provence, la qualité intellectuelle et morale de mes colistiers en harmonie avec cette ville d’Histoire fut un grand bonheur : troublante distorsion avec la violence des rivalités politiques et les coups fourrés entre candidats.
Dans les deux cas, le constat étonnant d’une dynastie politique locale implantée à la fin de la guerre, depuis les grands-pères, maires communistes, forcément « amis de Thorez », jusqu’à la petite fille maire socialiste à Denain, et l’arrière-petite-fille maire LR à Aix en Provence.
— Que vous a apporté cette expérience de terrain ?
J’y ai trouvé la réponse à bien des questions. En découvrant dans les documents de campagne anciens à la fois l’anticommunisme virulent de Jean-Marie Le Pen et son refus d’appartenir à la droite « de gouvernement », UDF et RPR puis UMP, j’ai mieux compris l’alliance implicite des communistes et des gaullistes dès 1972, date de sa création, contre le FN. Cette alliance implicite contre ce nouveau parti, dénoncé parfois comme « pétainiste », faisait bien l’affaire d’un François Mitterrand qui avait été effectivement « pétainiste » et qui entendait bien le faire oublier en rassemblant, en 1972 justement, toutes les forces politiques de Gauche autour d’un « programme commun » qui sera celui du Parti Socialiste .
Etre sur le terrain m’a permis de ressentir justement par moi-même la violence du sentiment d’injustice que crée cette alliance de partis prétendument opposés idéologiquement dans le seul but, à chaque scrutin, d’empêcher la victoire du l FN devenu RN.
J’ai voulu en témoigner, et le raconter dans ce livre pour que les Français puissent mettre des mots sur la catastrophe actuelle et mieux comprendre le « coup d’Etat électoral de juillet 2024 ». Un « arc républicain » allant des LR non ciottistes à l’extrême gauche a permis de priver le RN, arrivé en tête dans plus de 300 circonscriptions au premier tour, de la victoire attendue. Résultat ; trois blocs, dont un artificiellement « dopé » par les alliances : LFI.
— Pourquoi dénoncez-vous l’abandon du clivage Droite / Gauche dans les divers discours politiques ?
L’abandon, d’une règle du jeu, quel que soit le jeu, est la porte ouverte à la tricherie qui ne peut plus être désignée comme telle puisque la règle a disparu.
En France, depuis 2017, on assiste à l’abandon de ce qui est partout et toujours la règle du jeu de la démocratie : l’affrontement in fine, pour la conquête du pouvoir suprême, des deux grands partis portant des choix de société différents
De ce fait, on offre à l’électorat un choix dont il n’est plus maître. Comment choisir librement entre un candidat, Emmanuel Macron, qui refuse l’étiquette de Gauche, qui est pourtant la sienne, mais qui se prétend « candidat républicain », donc seul légitime, et Marine Le Pen, une candidate qui refuse de se dire de droite – alors qu’elle a hérité d’un parti qui l’est bel et bien – et que la classe politique, la presse, les médias, voire l’art, la littérature ou la chanson présentent comme raciste, fasciste et nazie, et donc totalement illégitime ?
— Quelle solution voyez-vous à la situation actuelle, assez catastrophique, de la France ?
Le seul moyen de redonner la parole au peuple serait un scrutin à un tour, majoritaire comme en Grande Bretagne, ou proportionnel, comme en Italie, pour les législatives.
Les alliances électorales seraient alors obligées de se faire avant le scrutin et de manière claire, ce qui éviterait les magouilles politiques de chaque entre-deux tours.
Hélas ! Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez se sont déclarés opposés à la réforme envisagée par le gouvernement : rétablir la proportionnelle.
Instaurée par Mitterrand pour les élections législatives de 1986, elle avait été abolie par Jacques Chirac devenu Premier ministre, dès le lendemain du scrutin. Sans doute parce que 35 députés FN avaient été élus. A l’époque, la droite « de gouvernement » dépassait de beaucoup le FN en termes de voix, et ce refus de laisser entrer un concurrent dans la place pouvait se comprendre. Mais aujourd’hui où la situation est inversée, on ne comprend pas bien cette obstination
Il faut enlever des yeux des électeurs le bandeau qui leur cache la vérité : le Rassemblement National, parti dominant dans notre pays avec plus de 30 % des suffrages, qui a une histoire longue et un électorat fidèle, est le seul capable de mener une coalition victorieuse contre le « bloc de gauche et du centre » au pouvoir dont la tyrannie est de plus en plus pesante.
C’est un parti dont les fondations et la quasi-totalité des électeurs sont de droite, catholiques de tradition et monarchistes compris : à Aix-en-Provence, ma liste de 53 candidats en comptait un grand nombre.
La solution est stratégique et doit, devant l’urgence, faire oublier un temps aux électeurs de droite leur individualisme : les doutes consécutifs à des propos de tel ou tel dirigeant ne doivent pas plus empêcher le combat que ne le font les paroles de tel ou tel général quand la bataille fait rage. Ce ne sont pas les dirigeants qui remportent la victoire, mais les troupes. Des troupes unies, comme l’a compris Eric Ciotti.
Le vote sur la loi « aide à mourir » devrait leur ouvrir les yeux : la résistance inattendue de 199 députés est venue de la totalité des élus UDR (ciottistes) et de la quasi-totalité des députés du groupe RN, leur présidente comprise.
Propos recueillis par Anne Le Pape
• Catherine Rouvier, La France colin-maillard, Presses de la Délivrance.
