Il n’est pas rare de croiser du regard, dans les bibliothèques de mes amis, les beaux et solides volumes des éditions Heimdal. Richement illustrés, les albums de cette maison normande sont toujours une mine d’informations sur des thèmes allant du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale. On découvre l’aventure de son fondateur, Georges Bernage, dans l’autobiographie qu’il vient de faire paraître chez… Heimdal.
On y découvre un passionné exigeant qui s’est lancé dans une véritable aventure entrepreneuriale il y a maintenant 50 ans. Contre vents et marées, il a maintenu le cap et compris les évolutions du marché de l’édition historique. Au-delà du récit très personnel, c’est une source d’exemples pour qui veut se lancer dans ce domaine en pleine mutation. On y comprend les évolutions du monde de l’édition et de la presse (car Heimdal est aussi un éditeur de revues comme 39/45 et Moyen Age). Pour Georges Bernage, les innovations technologiques et la baisse du nombre de lecteurs n’impliquent pas pour lui la mort du livre. La « galaxie Gutenberg » n’a pas dit son dernier mot pour peu que l’inventivité l’alimente toujours.
Le drakkar Heimdal a su prendre les bons vents dès le départ. Encore jeune étudiant à Caen, Georges Bernage avait lancé une revue régionaliste normande. Heimdal est d’abord cette publication réalisée sur sa machine à écrire, éditée artisanalement et diffusée dans les librairies de sa région par ce passionné. Dans ces premières années, on découvre toute une équipe haute en couleur dont la grande figure de Jean Mabire qui fait découvrir le Cotentin au jeune Bernage. La vague régionaliste des années 1970 est à son plus haut et Heimdal capte l’intérêt pour la redécouverte de la culture locale. En suivant le sillage des Vikings, il élargit aux pays scandinaves son horizon et devient un passeur de la tradition norroise dans les anciennes terres de Guillaume le Conquérant. Plus qu’une simple publication, la revue développe une activité de découverte de l’histoire normande par des cercles et des événements festifs comme les feux de la Saint-Jean. Cet aspect militant n’est pas relié à un engagement politique pour Georges Bernage, il rejette toute implication « métapolitique » dans son travail d’historien et d’éditeur. C’est dans ce cadre que le premier livre des nouvelles éditions Heimdal parait en 1974.
Régionalisme et histoire
En parallèle à sa vocation régionaliste, c’est à la fin des années 1970 que l’éditeur va comprendre qu’un manque existe dans le domaine de l’édition historique. Déjà très populaires dans le monde anglo-saxon, les albums avec de riches iconographies et de nombreuses photographies sont inconnus dans le domaine de l’histoire militaire française. En parcourant la Normandie pour diffuser sa revue, Pierre Bernage découvre les traces du Débarquement et surtout des témoins alors très nombreux de l’évènement. Il lance donc des collections sur l’événement qui sont rapidement un beau succès au niveau des ventes. Les fans de militaria, les maquettistes, les explorateurs de bunkers, les anciens combattants et plus tard les amateurs de reconstitutions historiques vont dévorer avec passion les volumes d’Heimdal.
Outre une documentation rigoureuse et des traductions de qualité, c’est surtout la richesse des témoignages qui fait l’intérêt des livres édités par Bernage. La collecte des souvenirs des combattants des deux camps (mais aussi de civils) était encore possible jusqu’il y a une dizaine d’années. Au moment où les témoins disparaissaient, leur mémoire perdure grâce à Heimdal. Quand le politiquement correct souffle dans le domaine historique, il est bon de pouvoir avoir ses témoignages de première main pour comprendre la complexité et la violence d’une époque comme la Seconde Guerre mondiale.
L’âge d’or de ce domaine, les années 1990 et les grandes commémorations des cinquante ans du débarquement, vont aussi attirer certaines polémiques. Le succès commercial des albums sur les divisions maudites de la Waffen SS va attiser attaques et jalousie. Pouvant s’appuyer sur les travaux rigoureux d’historiens comme François de Lannoy, Jean-Luc Leleu ou Charles Trang, Heimdal a pu sortir sans difficultés de ses mauvais procès.
Georges Bernage ne cache pas les difficultés économiques de sa maison d’édition. Car à l’âge d’or va succéder dans les années 2000 une chute des ventes avec la disparition d’une génération de lecteurs fidèles dans le domaine du militaria. C’est alors le choix d’autres orientations historiques qui vont permettre de créer de nouveaux marchés. Le regain d’intérêt pour la période médiévale avec la vogue pour les grandes reconstitutions amène un lectorat à la recherche d’éléments d’informations précis pour leurs pratiques. La revue Moyen Âge va devenir incontournable dans le domaine et va permettre le développement d’un large choix d’albums sur ce (vaste) sujet. Le développement du secteur presse, avec le solide acquis de la revue 39/45, est un des piliers de Heimdal aujourd’hui. C’est aussi une leçon sur la rigueur nécessaire dans la gestion administrative et sur l’importance de rester à l’écoute des lecteurs pour rencontrer ses attentes.
François Fourment
A lire : Georges Bernage, Un éditeur et les témoins de l’Histoire, Heimdal, 382 pages, 29 euros. En commande https://editions-heimdal.fr/fr/

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