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Tribune: Corrida, une question de vie ou de mort pour notre civilisation

Les tribunes n’engagent pas la rédaction mais uniquement leur auteur. Elles ont pour but de nourrir le débat et la réflexion.

On peut s’étriper sur la guerre en Ukraine, la candidature d’Éric Zemmour ou la question raciale, mais ce sont des clivages relativement futiles qui n’affectent en rien notre quotidien, notre façon d’éduquer nos enfants ou de concevoir la vie. La substantifique moëlle de notre rapport au monde ne sortira pas changée du conflit en cours, de l’évolution de Reconquête ou du nombre d’extra-Européens vivant en France. À l’inverse, le débat sur l’interdiction de la corrida charrie avec lui un monceau d’antagonismes dont l’issue est décisive pour le visage d’une civilisation. La corrida n’est pas un « fait de société ». C’est le témoignage d’une vision du monde, même si les aficionados n’en ont pas toujours conscience. Que l’on soit partisan de son interdiction ou de sa sauvegarde, on ne portera pas le même regard sur la mort, la place de l’animal ou le sens des traditions. Pour les uns, l’animal a la même dignité qu’un homme, et même plus que les enfants à naître, tués par dizaines de milliers chaque année sans faire trembler Julien Odoul, député RN de l’Yonne, solidaire de la proposition d’Aymeric Caron. Pour les autres, l’animal tient son rang dans une hiérarchie des êtres vivants coiffée par l’homme. Les uns sont égalitaristes par animalisme, fanatiques par sentimentalisme. Les autres admettent les inégalités naturelles et le primat de la raison humaine sur les pulsions émotionnelles. Pour les uns, la mort « ne peut pas être un spectacle », comme ils disent… Ces puritains fanatiques la veulent cachée dans un hôpital, une pièce du Planning familial ou un EHPAD, tenue à distance par le voile opaque de la science. Pour les autres, qui reconnaissent le tragique de l’existence, la mort peut révéler ce qu’il y a de plus noble au creux de la nature humaine : l’héroïsme. « La course de taureaux, écrivait Hemingway, est le seul art où l’artiste est en danger de mort et où la beauté du spectacle dépend de l’honneur du combattant1 ». Comme la sainte messe, la corrida rappelle que « c’est dans l’héroïsme que se trouve caché le mystère suprême de la vie, [car] ce qui en elle a le plus de saveur, c’est ce qui est le plus amer2 ». Pour les uns, la corrida est une tradition périmée, à côté de l’esclavage ou de l’excision. Pour les autres, même les moins attirés par la tauromachie, à l’image du poète Frédéric Mistral, qui la défendait sans l’aimer, elle doit jouir du respect curieux accordé aux coutumes anciennes qui ont du prix aux yeux de tant de personnes sensées, dépourvues du moindre goût pour le voyeurisme. Le seul fait de caricaturer les acteurs de la corrida en personnages sadiques, comme ces militants – le 10 septembre en Arles – qui ont montré sur leurs pancartes des visages de toreros tendus par l’effort (afin de représenter leur « inhumanité »…), disqualifie définitivement les « antis ». Ce sont les mêmes qui demandaient la « dépopulation » de la Vendée, de Dresde ou de Nagasaki. Ce sont les mêmes pharisiens qui tenaient les pierres, il y a deux mille ans, devant la femme adultère. Quant à Marine Le Pen, qui se laisse dicter son agenda politique par l’extrême-gauche, en réclamant l’interdiction pour les mineurs, elle représente l’étatisme contre la famille, premier lieu de l’éducation au Vrai, au Beau et au Bien. D’un côté, l’animalisme, le mépris de la vie, le progressisme et le totalitarisme. De l’autre, le respect de l’homme, l’éloge de l’héroïsme, la défense des traditions et de nos libertés, parce que de l’interdiction de la fessée à celle de la corrida, en passant par la fin du « Mademoiselle » dans les administrations et la restriction de l’instruction en famille, c’est le même rouleau-compresseur de la bêtise et du fanatisme. Deux positions, deux mondes.

Julien Langella

NB : Les positions prises dans la rubrique «Tribune , qui a pour but – sans provocation mais sans les excès de frilosité qui étouffent notre époque – de susciter la réfelxion et la discussion, n’engagent que leur auteur et non l’ensemble de la rédaction.

1Mort dans l’après-midi, 1932.

2 William James, La Revue latine, année 3, 1904.

Un commentaire

  1. J’ai trouvé la tribune de Julien Langella un peu trop simpliste.
    On peut aimer les animaux et même les préférer à l’espèce humaine (“Plus je connais les hommes et plus j’aime mon chien”, aurait dit Bismarck) et être séduit par la théâtralité de la corrida où le torero se met en danger. De même peut-on être contre l’avortement et contre la corrida.
    Les Crétois, qui inventèrent les jeux taurins, ne mettaient d’ailleurs pas à mort le taureau, sacré dans l’île de Minos où jeunes gens et jeunes filles participaient à ces jeux.

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