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Table d’hôte : Avril, mois de l’apéritif avec mon ami Maigret

C’est le mois où le germe devient plante, le mois des poissons, des poussins et de la lune rousse, c’est le mois d’Aphrodite, déesse de la beauté et de l’amour (du latin Aprilis, de l’étrusque Apru). C’est du reste, en avril 1913, il y a tout juste 110 ans, la date où Maigret effectuait sa première enquête et débutait sa carrière au 36 quai des Orfèvres.

Aperire signifie ouvrir, au sens propre comme au sens figuré. Et l’apéritif aussi est destiné à ouvrir l’appétit… Il ne faut pas en abuser, sinon cette coutume fait perdre tout son bon sens plus souvent qu’à son tour. Sauf pour le policier qui l’utilise parfois comme un catalyseur cognitif et intuitif. Courteline disait qu’il n’allait jamais à la messe, car elle est à l’heure de l’apéritif. L’humoriste Celmas en raffolait et regrettait son empire. Il maugréait : « Si j’avais mis de coté tout l’argent que j’ai dépensé à boire, qu’est-ce que je pourrais m’offrir comme apéritifs ! » C’était un drôle d’homme et certainement un homme drôle, du siècle, comme disait ma grand-mère (et même du siècle d’avant), qui réclamait des bains sans eau, parce qu’il n’avait pas le temps de se sécher. Le commissaire appréciait les charmes de l’apéro dès ses premières aventures, quand les titres des romans ne mentionnaient pas encore son patronyme (Monsieur Gallet décédé, La nuit du carrefour, Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas, L’ombre chinoise, Le port des brumes, L’écluse n°1, Cécile est morte…).

Les œufs dans tous leurs états

Buvons donc ! Grignotons ! A nous les tapas (como se dice en el païs de José-Antonio), les appetizer (an appetizer was served at the beginning of the meal), les antipasti futuristes d’Italie, les mezze libanais et aussi la zakouska, véritable rituel de la Russie (pays immense qui ne demande qu’à être ami de la France) où l’on sert des bouchées savoureuses légèrement acidulées qui ne rassasient pas mais préparent l’estomac aux mets plus consistant. Les œufs à la russe sont pareils à nos oeufs mimosa (oeufs durs coupés en deux et dont le cœur est garni de mayonnaise mélangée au jaune d’œuf cuit). Les goutap sont des raviolis frits préalablement farcis d’œuf battu en omelette avec de la coriandre, du persil, de l’oignon nouveau, bulbe dont il serait dommage de se priver en cette saison. Les oeufs de Minsk (yaïtas po-minski) sont garnis d’un appareil réalisé au beurre mou, à la mayonnaise, à la crème double, aneth, persil, anchois, paprika, fromage râpé, et chapelure.

Toutes ces préparations sont connues de « Pietr le Letton » (premier roman où apparaît Maigret) et sont bienvenues en période pascale quand les œufs sont rapportés par les cloches depuis Rome, ou pondus par les lapins, les renards, les cigognes… selon les lieux d’Europe où l’on se trouve. Rien n’est plus facile à réaliser qu’une fine omelette que l’on roulera, encore chaude, comme un boudin, garni d’un hachis de tomates fraîches et de fromage râpé qui va fondre. Le commissaire Maigret a pour habitude de battre les jaunes et les blancs séparément. Il est loisible de battre les blancs en neige pour obtenir une allumelle (c’est ainsi qu’on appelait l’omelette naguère) soufflée et d’y adjoindre des fines herbes qui font florès maintenant.

Attention l’œuf assouvit vite ! Un proverbe comtois dit : « Un œuf c’est peu, deux c’est bombance, trois c’est outrance. » Dans le roman Les caves du Majestic, on peut lire : « Vers onze heures, se sentant barbouillé, il s’était dit que cela irait mieux s’il mangeait et il avait commandé des oeufs au jambon, qui ne passaient pas plus que le reste. » Ce n’est pas à l’ami Bergeron que je vais apprendre la recette du pâté de Pâques berrichon. Il s’agit d’un hachis de viande de porc et de veau, agrémenté de poivre, de persil, de muscade, et d’œufs durs, que l’on dispose sur un fond de pâte feuilletée roulée en forme de chausson et que l’on cuit au four.

Maigret, contrairement sans doute à Miss Marple n’apprécie pas les sandwiches au pain de mie (c’est un mâle réac, quinquagénaire bien sonné, provincial et même bourbonnais, fumeur de pipe, bon mangeur, gros buveur et catholique par-dessus le marché). Le pain de mie est tout de même commode pour préparer quelques canapés aux poivrons rouges (ils sont superbes en ce moment) confits, aux pickles et aux plantureux cornichons d’Alsace à l’aigre-doux et à l’aneth (alelor.fr) et cochonnailles du pays de Mâme Maigret (maison-dischinger.com). N’oubliez pas les crackers, ni les fromages. Un repas sans fromage est comme une belle à qui il manque un œil, écrivait Brillat-Savarin.

Whisky ou champagne ?

Simenon, tout comme notre dessinatrice Chard, aimait la bière. Pour Jean-François Chiappe, Alain Sanders, Jean-Yves Le Gallou et feu Dominique Chaboche, ce sera un whisky pur malt, si c’est donné aux trépassés. François Brigneau appréciait les deux breuvages et le vin pétillant de Champagne (vin rouge sage à l’origine) mais maudissait le kir, que l’on doit à Félix Kir, chanoine résistant, député-maire CNI de Dijon durant 22 ans, doyen de l’Assemblée nationale où il arrivait en soutane verdie, avec barrette et souliers à boucle d’argent, tout comme le louvoyant Edouard Frédéric-Dupont, député FN-RN (blessé à la tête le 6 février 1934, ceint de son écharpe tricolore, alors qu’il manifestait contre la révocation du préfet de police Jean Chiappe). Alain de Benoist, pareil à lui-même demeure insolite (saké, ouzo, eau de Perrier). Jean-Marie aimait les blancs avant de se mettre au régime, Marine les apprécie… Pour Jean-Gilles Maliarakis, de l’eau de Vichy… Philippe Randa opte pour le champagne que je remplace bien volontiers par un Crémant du Jura, léger, sec qui ne laisse présager aucun déboire (dégoût bacchique, étymologiquement parlant). C’est un vin à ressort comme disait le divisionnaire. Les vins d’Alsace et particulièrement les vins blancs de Colmar, pays charmant et natif de Mme Maigret, sont excellents en apéritif (muscat, traminer, pinot blanc ou gris, riesling). Les rouges (pinot noir, rouge d’Ottrot) sont souverains servis frais (materne-haegelin.fr, cave-hunawihr.com). Souvent le policier varie. Dans Pietr le Letton, nous apprenons que le commissaire déteste le champagne, mais dans Maigret, il en commande au restaurant et s’en trouve ravi… Francis Bergeron a un faible pour le champagne Taittinger, en souvenir du fondateur des « Jeunesses patriotes » qui combattait pour une république « propre et honnête ». Comme disait Mathilde Cruz : « T’as qu’à croire, Grégoire ! »

Les wokes du temps d’avant, les épurateurs, le comité des écrivains créé par le PC »F » en 1941, ont rejeté Courtine. Il faut dire qu’il émargeait, pendant l’Occupation, dans une publication antisémite et collaborait à des revues antimaçonniques avant de rejoindre Le Monde sous le pseudonyme de La Reynière. Georges Simenon, qui avait un frère rexiste, Christian (mort pour la France en Indochine sous le képi blanc), était son ami et avait préfacé son livre, Le cahier de recettes de madame Maigret. Cet opuscule est bien commode pour réaliser de bons petits plats « vieille France » et pour notre apéritif dînatoire. Voici donc, sortis du grimoire, l’omelette de la fermière (bruschetta aux oeufs et au jambon cru grillé), les soufflés Marie du port et des Terre-neuvas, le pâté de campagne maison, les quiches lorraines et tourangelles, les filets de harengs, la pizza napolitaine, les fritures de goujons et de joels, sans oublier les cèpes au four, ni les écrasées de sardines de Concarneau, pays du gâ Brigneau (gonidec.com).

Franck Nicolle

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