Madiran

Jean Madiran, homme de presse, et bien plus !

Jean Madiran nous a quitté il y a dix ans. Il fut le créateur de la revue Itinéraires, le co-créateur de Présent, mais d’abord un farouche défenseur de l’Eglise. Il laisse une œuvre considérable (pamphlets, essais, biographies, analyses, qui n’a rien perdu de sa force et de sa pertinence.

A une époque où l’écrit, le papier, était encore le média majeur, (ce mot même de « média » n’existait pas, on parlait de « la presse », qui englobait la radio et la télévision), à cette époque, donc, les personnes aux convictions ancrées achetaient en kiosque un quotidien – plusieurs si un évènement important le justifiait, mais aussi un hebdomadaire au moins, et elles étaient en outre abonnées à des revues. Ces revues pouvaient se présenter comme de véritables livres. Tel était le cas de la revue Itinéraires, qu’avait créé et que dirigeait Jean Madiran. Itinéraires, revue alors mensuelle, était lue avec passion, de la première à la dernière ligne.

Parmi cette masse de publications qui entrait sous le toit des familles chrétiennes, cette revue-là avait donc une place à part. Pour ma part, je revois mon père, la pipe à la bouche – en, ce temps-là les hommes fumaient la pipe – poser prés de son fauteuil le nouveau numéro d’Itinéraires, parcourir les autres publications, puis revenir très vite à Itinéraires, déguster littéralement la revue. Tandis que ma mère se plongeait dans Minute et Télémagazine, dans lesquels officiait François Brigneau, mon père, qui n’était aucunement militant et peu porté sur les mouvements de foule, vivait, par le truchement d’Itinéraires, les combats de Madiran et des « intégristes » (la formule était péjorative ; bien entendu ).

Cette prière : « Très Saint Père, rendez-nous l’Écriture, le catéchisme et la messe », que l’on entend à nouveau aujourd’hui, résumait bien les engagements de toute une génération de chrétiens, affolés par les fruits blets de l’après-concile. Mais mon père n’aurait jamais pu imaginer – cela l’aurait tué raide – qu’on en arrive un jour à demander qu’on nous rende le mariage de toujours, avec un homme et une femme, un papa et une maman, sans parler des autres dérives sociétales.

Madiran au « congrès de Lausanne »

J’eus la chance, plus tard de découvrir les « congrès de Lausanne », ces rassemblements spectaculaires et studieux, organisés par une structure au sigle à dessein imprononçable : « L’Office International des Œuvres de Formation Civique et d’Action Culturelle Selon le Droit Naturel et Chrétien ». Et c’est à cette occasion que je vis pour la toute première fois Madiran « en vrai », que j’entendis son accent du sud-ouest, qui ne transparaissait bien évidemment pas dans sa revue, même si son pseudonyme faisait référence à une commune des Pyrénées (il s’appelait en fait Jean Arfel, et usait aussi d’autres pseudonymes connotés du sud-ouest comme Lagor ou Castétis). Il parlait cette année-là, devant les trois mille congressistes, du « sens de l’histoire », ce fameux sens de l’histoire censé nous conduire vers des avenirs radieux, et qui avait alors (les années 1970) encore de nombreux adeptes.

Il y eut ensuite l’aventure de Présent, dans laquelle m’embarqua Hugues de Blignières, et qui me permit de côtoyer Madiran, tous les jours (plus exactement tous les matins, de 5 heures à 9 heures), entre 1982 et 1999.

Madiran avait été formé à l’école de Maurras, et il forma à son tour son équipe à cette école-là. Il y avait de ce fait des côtés un peu désuets à cette formation : le poème que devaient réciter, chacun leur tour, les membres du comité de rédaction, ou encore des formules et des sigles qu’il s’efforçait de populariser, de faire passer dans le langage courant, comme par exemple ses fameux DHSD, les « Droits de l’Homme Sans Dieu », son insistance à faire placer par ses collaborateurs, dans leurs articles, des références à ces « DHSD » .

Mais la puissance de travail, le courage politique, l’érudition, la diversité des centres d’intérêt, qui étaient la marque de Madiran, caractérisaient de ce fait, par l’exemple, « l’école de Madiran », digne successeur de « l’école de Maurras ». Dans son livre Journaliste !, Caroline Parmentier a raconté ce qui caractérisait la formation journalistique telle que conçue par Madiran, et ses exigences.

Le sort le plus cruel, le plus injuste, qui lui fut réservé

Néanmoins nous n’étions plus au temps de Maurras, l’influence de Présent était infiniment moins forte que celle de L’Action française. Le sectarisme, la censure, l’entre-soi progressiste avaient largement gagné le paysage médiatique. Présent n’eut jamais l’audience qu’il méritait, Itinéraires disparut malgré la somme de talents que réunissait la revue. Et Madiran lui-même ne fut jamais reconnu au niveau de ses mérites, dont témoigne pourtant amplement son œuvre écrite. A ma connaissance il ne fut jamais invité dans une émission de télévision de qualité, sur des médias à forte audience, quand on pouvait voir ou entendre pérorer tant de creux bonimenteurs. C’est le sort le plus cruel et le plus injuste qui lui fut réservé, en quelque sorte.

Pourtant dix ans tout juste après sa disparition, Jean Madiran reste une référence. Son influence a été déterminante pour toute une classe de leaders de l’opinion non conformiste. Il leur appartient, et il nous appartient aussi, à nous qui avons été formés à sa lumière, de faire connaitre l’homme et l’œuvre. Il fut hélas bon prophète sur les conséquences des réformes conciliaires. Le mal est fait dans ce domaine, et il faudra plus d’une génération pour redresser le tir.

Mais les bons pères (et même l’Education nationale, à notre époque) nous ont appris que lors de la chute de l’Empire romain sous les coups de boutoir des barbares, le savoir, la culture et la foi se réfugièrent dans les monastères. L’œuvre de Madiran, ce sont un peu nos monastères du XXIe siècle. Alors, que les moines copistes se mettent au travail.

Francis Bergeron

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