Civitas

Une réunion de l’Association catholique des Hauts-de-France interdite : l’ordre public était-il menacé ?

Le mardi 19 septembre 2023, l’Association catholique des Hauts-de-France organisait deux événements : la tenue de son assemblée générale annuelle à 17 heures 30, suivie à 19 heures 15 d’une conférence d’Alain Escada sur le thème « Le rôle du mondialisme dans la culture de mort ».

Ces deux manifestations devaient se dérouler dans un bâtiment communal : la salle municipale de la cité familiale de Lambersart qui était mise à la disposition de l’association à cette occasion.

Le jour même, à 16 heures 30, la Police nationale a délivré au président de l’Association catholique des Hauts-de-France un arrêté préfectoral notifiant l’interdiction de la conférence d’Alain Escada à 19 heures 15. Une copie de l’arrêté a été affichée sur la porte d’entrée de la salle communale à 16 heures 40 par un équipage de police qui informait les invités de l’interdiction de la réunion, ce qui a entraîné le départ de ces derniers et l’annulation de facto de l’assemblée générale de l’association.

Chaque fois que la France s’est trouvée sous un régime politique républicain, le principe général applicable aux réunions a été la liberté. Cette liberté a été consacrée dans les Constitutions de 1793 et 1848, confirmée par la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion, et complétée par la loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques. Les conventions internationales, telles que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ont posé par ailleurs que toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Cependant, des restrictions à la liberté de réunion peuvent être apportées par les autorités publiques suivant les dispositions du Code de la sécurité intérieure. Le principe général d’interdiction repose sur le risque de troubles à l’ordre public. Cela était-il le cas à Lambersart le 19 septembre 2023 ?

L’article L211-4 du Code de la sécurité intérieure dispose que la première autorité compétente pour estimer si une manifestation fait peser un risque de trouble à l’ordre public est le maire. Si le maire s’abstient, le préfet peut alors se substituer à lui et interdire la manifestation. En l’occurrence, c’est ce qu’il s’est passé à Lambersart puisque l’arrêté préfectoral vise la mise en demeure faite au maire tendant à interdire la conférence organisée par l’Association catholique des Hauts-de-France, et considère que le maire « n’a pas entendu faire usage de ses pouvoirs de police pour interdire cet événement dans une salle municipale ».

Le maire de Lambersart n’ayant pas cru devoir interdire la manifestation, c’est donc le préfet qui y a pourvu. Mais quelles raisons a-t-il évoquées pour démontrer l’existence d’un possible trouble à l’ordre public ? Le texte de l’arrêté énumère tous les motifs.

Le préfet évoque l’actualité qui “pourrait susciter des propos sur la remigration”

D’abord, le préfet rappelle qu’Alain Escada est président du parti politique Civitas, et s’appuie sur l’actualité « marquée par l’arrivée massive de migrants sur l’île de Lampedusa en Italie » pour supposer que la conférence « devrait permettre au président de Civitas de présenter ses théories sur la « remigration » ». Cet argument peine à convaincre sachant qu’une conférence intitulée « Le rôle du mondialisme dans la culture de mort » ne présentait, a priori, aucun lien évident avec les phénomènes migratoires récents.

Le préfet rappelle ensuite « les propos tenus récemment lors de l’université d’été de Civitas (…) par Monsieur Hillard, ajoutant que ces propos « ont fait l’objet d’une saisine du procureur de la République par le ministre de l’Intérieur ». Sachant que Monsieur Hillard n’est pas membre du parti politique Civitas, et qu’il n’était pas convié à la conférence frappée d’interdiction à Lambersart, on comprend mal la relation qu’il pourrait y avoir entre deux événements distincts dans le temps, dans leur contexte et concernant deux manifestations différentes organisées par des associations différentes.

Autre argument du préfet, les membres de Civitas seraient « connus pour perturber régulièrement les événements qui ne correspondent pas à leur courant de pensée ». Encore une fois, ce moyen de droit surprend en ce que le parti politique Civitas et l’Association catholique des Hauts-de-France sont deux associations distinctes et qu’on ne peut imputer à l’Association catholique des Hauts-de-France des faits constatés, à tort ou à raison, dans une autre association. Au demeurant, on voit mal pour quelle raison les membres de Civitas auraient perturbé une conférence où le président de Civitas, et lui seul, devait s’exprimer.

Le préfet évoque également la procédure de dissolution engagée à l’encontre de Civitas. Or, rien à ce stade de la procédure ne permet d’affirmer qu’elle ira à son terme et, dans l’hypothèse où le parti politique Civitas serait dissout, rien ne permet non plus de présumer de la décision juridictionnelle qui pourrait être rendue en cas de contestation.

Le préfet s’appuie aussi sur le site internet de Civitas, où le projet de demander « l’abrogation de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et le rétablissement du catholicisme comme religion d’Etat pour l’instauration du règne social du Christ Roi » remettrait en question les valeurs de la République, notamment le principe de laïcité. Effectivement, Civitas est un parti politique se réclamant du catholicisme. Mais est-il interdit à un parti politique d’exposer ses propositions en matière d’organisation constitutionnelle ou de vie publique ? Le principe démocratique ne pose-t-il pas que c’est le peuple français qui, par son vote, peut porter au pouvoir ou écarter un parti politique selon que le programme de ce parti lui agrée ou pas ? Au reste, il importe de se souvenir que si le principe de séparation des églises et de l’Etat s’impose, il ne s’impose pas entièrement, notamment dans les départements d’Alsace-Moselle ou encore dans certains départements ou territoires d’Outre-mer. La loi de séparation des églises et de l’Etat a été promulguée en 1905. Or, après le retour de l’Alsace-Moselle à la France 13 ans plus tard, la IIIe République n’a pas cru devoir appliquer la loi de séparation dans ces départements, pas plus que les IVe et Ve Républiques après elle.

Le préfet indique « que la tenue de cet événement a été diffusée sur les réseaux fréquentés par les sympathisants de cette mouvance ». Il est constant que l’agenda des responsables politiques est fréquemment rendu public, notamment auprès des adhérents et sympathisants des partis. Mais encore une fois, pourquoi ces adhérents et sympathisants auraient-ils perturbé une réunion dans laquelle devait s’exprimer une personne avec qui ils sont en accord ?

Le préfet affirme enfin qu’il aurait existé « un risque de contre-manifestation de la part des mouvements d’ultra-gauche lillois », et invoque l’absence de moyens de forces de l’ordre, « les forces de sécurité intérieure entièrement mobilisées sur la sécurisation de la coupe du monde de rugby dans le Nord et les visites officielles du roi Charles III et du pape François sur le territoire national ». Le préfet ayant indiqué que la publicité de la réunion n’ayant été faite qu’auprès des adhérents et sympathisants de l’Association catholique des Hauts-de-France, et « diffusée sur les réseaux fréquentés par les sympathisants de cette mouvance », on ne peut que conclure à un risque particulièrement faible de contre-manifestation des groupuscules de l’ultra-gauche lilloise. Et dans l’hypothèse très incertaine d’une contre-manifestation, on peine aussi à croire que les effectifs des forces de l’ordre disponibles n’auraient pas été suffisants pour assurer l’ordre public vu la modestie de la manifestation organisée par l’Association catholique des Hauts-de-France. D’ailleurs, un équipage de police était présent pour informer les personnes invitées de l’interdiction de la réunion. Il y avait donc des forces de l’ordre disponibles.

Pour Paul Cassia, Professeur de droit public à l’université Paris 1 Sorbonne, « il semble qu’il y a une tendance très forte à la restriction des libertés au profit de l’ordre public[1] ». Et d’ajouter: « Il arrive que des administrations prennent des décisions attentatoires aux libertés que nous n’avons pas le temps de contester devant le juge[2] ».

Informée à 16 heures 30 de l’interdiction d’une manifestation prévue pour 19 heures 15, il est clair que, sur la forme, l’Association catholique des Hauts-de-France ne disposait pas des délais suffisants pour contester l’arrêté préfectoral suivant une procédure d’urgence.

Sur le fond, la lecture des considérants montre que l’autorité administrative a additionné des arguments qui ne présentaient aucun lien avec l’objet de la manifestation organisée par l’Association catholique des Hauts-de-France, et qu’elle n’a que présumé certaines déclarations que le conférencier aurait pu tenir, sans jamais démontrer qu’il les aurait effectivement tenues. De même, le risque de contre-manifestation de l’ultra-gauche lilloise semble avoir été surestimé, d’autant que si le nom d’Escada figurait sur la publicité qui a été donnée à l’événement sur les réseaux mentionnés par le préfet, le nom de Civitas n’apparaissait pas.

Dans une lettre du 14 avril 2023, le Défenseur des droits a dénoncé les risques d’atteintes aux droits et libertés qui fragilisent la démocratie. Pour sa part, Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l’homme, a déclaré avoir honte pour la France et être inquiet pour les libertés publiques[3]. On peut être d’accord ou pas avec le programme de Civitas. On peut être d’accord ou pas avec Alain Escada. Mais peut-on, pour des motifs qui emportent aussi peu l’adhésion, user des prérogatives de la puissance publique pour interdire une conférence dont le sujet n’avait rien à voir avec les craintes exprimées pour justifier l’interdiction ? En d’autres termes, peut-on ainsi fragiliser la démocratie ? Le dernier mot ne revient-il pas alors au président de la Ligue des droits de l’homme quand il déclare : « Aujourd’hui, j’ai quelque peu honte pour notre pays, qui glisse progressivement vers les régimes illibéraux[4] ».

André Murawski

[1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/signes-religieux-associations-droit-de-manifester-menaces-sur-les-libertes-publiques-6326770

[2] Ibid

[3] https://www.aa.com.tr/fr/monde/le-pr%C3%A9sident-de-la-ldh-d%C3%A9clare-avoir-honte-pour-la-france-et-%C3%AAtre-inquiet-pour-les-libert%C3%A9s-publiques/2872347

[4] Ibid

Un commentaire

  1. Tant que les catholiques n’auront pas le courage de braver les interdictions du tyran, celui-ci ira toujours plus loin dans la persécution.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *