Tradition

La Tradition sans complexe : entrevue avec Arnaud Guyot-Jeannin

Arnaud Guyot-Jeannin est journaliste et écrivain. Il a notamment publié L’Avant-garde de la tradition dans la culture (P.-G. de Roux, 2016) et Critiquedu nationalisme. Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité (Via Romana, 2021). Avec La Tradition sans complexe, grâce à un abécédaire et à divers portraits d’écrivains, il présente de façon synthétique une critique radicale de la modernité.

Les six écrivains dont vous faites état – Denis de Rougemont, Gustave Thibon, Pierre-Joseph Proudhon, Pierre Drieu La Rochelle, Georges Bernanos, Paul Sérant – sont très différents. Pourquoi les avoir réunis ?

Arnaud Guyot-Jeannin : j’ai réuni ces six figures parce qu’elles constituent, à différents niveaux, l’avant-garde traditionaliste-révolutionnaire de mon livre. Je fais le pari de défendre un catholicisme traditionaliste, un traditionalisme contre-révolutionnaire, un traditionalisme maurrassien, un traditionalisme ethnoculturel et un traditionalisme guénonien – dans une certaine mesure- tous ensemble. Gustave Thibon et Paul Sérant répondent à toutes ces dénominations. Les autres écrivains sélectionnés sont des antimodernes qui rejoignent les préoccupations d’un traditionalisme réconcilié et unifié. Dans un précédent ouvrage, j’avais déjà cité certains des auteurs qui représentent et comptent parmi cette « avant-garde de la Tradition dans la culture » : Vladimir Soloviev, Henry Montaigu, Charles Maurras, Simone Weil, G.K Chesterton, René Guénon et quelques autres. Ces noms doivent s’y ajouter à ceux mentionnés dans ce nouvel essai.

En récusant la Tradition, « l’hypermodernité » actuelle engendrerait une « société liquide ». Pouvez-vous préciser ?

La modernité peut se définir comme un modèle de civilisation qui remonte historiquement à la Renaissance et au processus de sécularisation/laïcisation du christianisme. Les grands récits de la modernité (marxisme, racisme etc) ont accouché de totalitarismes (communisme, national-socialisme). Mais, ces derniers ont fini par disparaître sous le joug trop lourd de leur démesure. L’hypermodernité, sévissant de nos jours, lui succède en engendrant une « société liquide » pour reprendre l’expression ingénieuse de Zygmunt Bauman, c’est-à-dire une société fluide, mouvante, homogène et éphémère. Une société de flux : flux technologiques, flux d’informations, flux de marchandises, flux migratoires, flux numériques et flux financiers. Les reflux ne tardent pas à arriver en provoquant les crises précédemment citées. Le dématérialisme cède le pas au matérialisme. Le réel fait place au virtuel. Nous vivons alors dans un monde hypermoderne où règne l’efficience immédiate, l’opérativité mathématique des chiffres et des nombres, du jetable et du « Tout, tout de suite ». Une hypermodernité hybride et mutante dans laquelle vivent des robots, des adulescents impatients et pas finis. A cette société liquide, a correspondu une « solidification » du monde moderne qui conduit à sa « dissolution » comme l’avait bien noté René Guénon, en son temps. En somme, à la liquidation (aux deux sens du terme) de celui-ci.

A vous lire, la Tradition et les États-Unis ne font pas bon ménage. Comment l’expliquer ?

Les États-Unis représentent le Nouveau monde. Il s’accomplit politiquement et historiquement au moment de l’émergence des trois grandes révolutions bourgeoises de l’ère moderne. Née d’un refus de l’Europe, l’Amérique du Nord s’est même construite contre celle-ci qu’incarnait le Vieux monde. De fait, les États-Unis rejettent l’Ancienne France et la vieille Europe que la plupart des Américains ne sont pas capables de situer géographiquement sur une carte du monde. Les sociétés européennes traditionnelles divulguaient une spiritualité païenne, puis chrétienne où les valeurs aristocratiques et populaires dominaient les valeurs bourgeoises. Les idéologies de la modernité, et donc aussi de l’américanité, l’individualisme, l’utilitarisme et l’égalitarisme sont diffusées sous l’horizon du mythe de la croissance, de l’homogénéisation des modes de vies et de l’axiomatique de l’intérêt. Le processus de l’hypermodernité est alors enclenché. Remettons donc à l’honneur les valeurs partagées du don et du contre-don, du désintéressement et de la gratuité, de la bravoure et de la justice, du sens communautaire et de la décence commune.

Propos recueillis par Philippe Vilgier

• Arnaud Guyot-Jeannin, La Tradition sans complexe, Abécédaire et textes de l’Antimodernité, La Nouvelle Librairie.

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