Une incroyable cacophonie fait suite à la chute d’une des dictatures les plus brutales de la planète, qui peut être n’a d’équivalent qu’en Corée du Nord. C’est à qui mieux mieux pour béatifier la rébellion ou au contraire pour pleurer sur le bon docteur Bachar et la belle Asma en regrettant amèrement les sacs Hermès et talons Louboutin de cette dernière, garants d’un haut degré de civilisation comme chacun sait, tout en prédisant des massacres de chrétiens à n’en plus finir sous la férule des djihadistes. Il convient donc d’établir quelques faits indéniables et documentés en ce qui concerne la situation des chrétiens de Syrie qui nous préoccupe en premier lieu à l’heure où ces lignes sont écrites.
Un article paru le 4 décembre dans le National News Media basé à Abou Dhabi fait état d’une conférence de presse tenue la veille à Washington via Zoom par le Vicaire Apostolique Romain d’Alep, Monseigneur Hanna Jallouf. Les chrétiens d’Alep, la seconde plus grande ville de Syrie avec ses 2,5 millions d’habitants et ses 25 000 chrétiens, prise par les rebelles du HTS fin novembre, « sont en train de décorer nos quartiers avec des sapins de Noël » affirme le prélat. « Notre communauté était terrifiée dans les premières heures de l’offensive (rebelle) et nos membres se sont tout d’abord terrés chez eux. » « HTS a très rapidement contacté les responsables religieux pour les rassurer et les inciter à poursuivre leurs préparatifs de l’Avent », a précisé l’évêque avant de poursuivre : « Je suis heureux de dire que les célébrations et les préparatifs des communautés catholique et orthodoxe ainsi que d’autres minorités chrétiennes en vue des fêtes de fin d’année, que ce soit la Sainte Barbe, Noël ou la Saint Sylvestre, se déroulent normalement. Nous avons également commencé à décorer les rues de nos quartiers et à installer des sapins de Noel. Notre sentiment est que tout ira bien. » Ces propos ont été confirmés sur CNews le 10 décembre par Benjamin Blanchard, directeur général et co-fondateur de SOS Chrétiens d’Orient qui a des équipes sur place : « 10 jours après la prise d’Alep, monsieur Jolani semble vouloir donner des gages (aux communautés chrétiennes) et tous les témoignages que je reçois confirment que la vie est revenue à la normale après deux jours de chaos (…) ». Monsieur Blanchard a toutefois précisé que les chrétiens de Syrie attendent de recevoir des garanties de sécurité à long terme pour envisager sereinement l’avenir. Dans les heures qui ont suivies la prise d’Alep, HTS a publié un communiqué visant à rassurer les minorités telles que les kurdes et les chrétiens, déclarant que ces dernières « ont totalement le droit de vivre dans la dignité et la liberté tout comme l’ensemble du peuple syrien. Pour la Syrie future, nous sommes convaincus que la diversité est notre force et non pas notre faiblesse. » Egalement le 10 décembre, sur sa page Facebook, Monseigneur Jallouf a incité les chrétiens à ne pas quitter le pays et à s’impliquer dès maintenant aux côtés de « leurs frères de toutes les communautés syriennes dans la reconstruction du pays. »
A Damas, c’est un prêtre maronite de l’archevêché de la capitale, le père Siraj Dib, qui s’est exprimé le 11 décembre sur la plateforme médiatique libanaise Ici Beyrouth : « Avec fierté, nous appelons ce qui s’est passé une libération. Les églises (Bab Touma –Damas) ont été fermée durant deux jours pour assurer la sécurité des fidèles en cas de débordement, mais aujourd’hui ils reviennent et nous célébrons deux Messe par jour. Notre premier sentiment est une joie immense. Nous n’avions jamais osé rêver de ce moment ni qu’il était possible un jour de nous libérer. Je parle de sept générations qui ont vécues sous l’oppression de ce régime et la poigne de ses services de renseignement. Enfin nous pouvons parler, revendiquer et espérer ce que nous appelons la liberté. Nous ressentons également de l’appréhension et de l’inquiétude, d’abord parce que le régime nous a inculqué dès notre plus jeune âge, l’idée qu’il était notre protecteur et que l’autre était notre ennemi. Ensuite, il y a l’angoisse de l’inconnu et les interrogations entre ce qui était et ce qui sera. Toutes les déclarations d’intention (de Jolani) restent à prouver, à vérifier, tout en rendant grâce à Dieu. »
En effet, le régime baassiste, par une propagande externe extrêmement habile, est parvenu depuis longtemps à se présenter au monde comme le « protecteur des minorités » contre les « extrémistes » en dépit du fait qu’au Liban, durant les quarante ans d’occupation syrienne, il a surtout prouvé sa détermination à exterminer ces mêmes chrétiens ayant toujours refusé de se soumettre. Cette prétention a été particulièrement exploitée depuis la prise de pouvoir de l’Etat Islamique sur le tiers du territoire syrien et sur le quart du territoire irakien, période noire s’il en est qui a vu des campagnes de massacres visant à achever un nettoyage ethnique et religieux à l’encontre des yazidis, des chrétiens assyriens, chaldéens et syriaques, des chiites et des sunnites d’origine turkmène et bédouine en Syrie et en Irak.
Alors, quel sera le nouveau visage de la Syrie après la période de transition ? Tout indique que l’avenir repose sur les épaules du nouvel homme fort du pays, Abou Mohammad al Jolani (Ahmed Hussein Chareh). Ce dernier a émergé au début de la révolution syrienne en 2011 lorsque le patron du groupe État islamique en Irak le charge de fonder la branche syrienne de l’organisation djihadiste. Nationaliste, il est rapidement en désaccord avec l’organisation terroriste transnationale et quitte l’État islamique en 2013, puis al Qaëda en 2017. Abou Mohammad al-Jolani engage alors le groupe HTS sur la voie de la discipline et d’une certaine modération. Après avoir maté l’opposition en provenance des franges islamistes les plus extrémistes refusant le divorce avec al Qaëda, son pragmatisme le pousse à mettre en place un modus vivendi avec les minorités, notamment chrétiennes, vivant sous sa gouvernance à Idleb. En 2020, il reconnaît dans une interview avoir été « influencé par le milieu salafiste-djihadiste » par le passé, mais avoir désormais pour référence « la réalité du terrain ». Après la conquête d’Alep, de Hama et de Homs, puis la chute du régime baassiste le dimanche 8 décembre, il s’apprête à prendre les rênes du pouvoir, tout en ayant d’ores et déjà annoncé qui ne sera pas candidat aux élections présidentielles le moment venu, se réservant le ministère de la défense. « Ses choix sont audacieux, il ose prendre des décisions difficiles et aller jusqu’au bout, il n’a pas arrêté de nous surprendre », explique pour l’Orient-le Jour Silvia Carenzi, chercheuse spécialiste des groupes armés en Syrie. « Le véritable test va être la période à venir », poursuit-elle. Selon Orwa Ajjoub, chercheur au Centre for Advanced Middle Eastern Studies, « à Idleb, il a été en mesure de fournir une meilleure gouvernance que dans les zones contrôlées par l’Armée nationale syrienne ou encore le régime ». L’histoire récente et le passé de l’homme offrent donc quelques éléments de réponse concernant la personnalité de celui qu’un nombre grandissant de syriens compare à Saddam Hussein. Fils d’une professeur de géographie et d’un économiste proche des idées du nationalisme arabe de Gamal Abdel Nasser, il a été exposé à différents environnements socio-politiques en Arabie Saoudite d’abord puis au sein de la classe moyenne damascène dans le quartier de Mazzé où cohabitent sunnites, alaouites et chrétiens. À contre-courant des organisations du djihad international dont il est issu et qui mettent l’accent sur la nature transnationale du combat djihadiste, il donne la priorité à la Syrie avec ses spécificités.
En affirmant vouloir épargner les vies innocentes et en rappelant avoir combattu des cellules de l’État islamique, Abou Mohammad al-Jolani rejette désormais catégoriquement l’étiquette terroriste qui lui est accolée, à tort ou à raison, par l’Occident.
Il lui appartient dorénavant d’entrer dans l’Histoire comme celui qui a su unifier toutes les communautés syriennes autour de l’Etat comme l’avait fait Hachem el Atassi, successivement Président de l’Assemblée du peuple de Syrie à la fin du Mandat français, Premier Ministre et enfin Président de la République entre 1919 et 1954, ou d’en sortir par les égouts en permettant que la Syrie soit dépecée par les différentes factions djihadistes qui s’y trouvent, avec le cortège d’exactions qui pourrait en découler. Deux éléments font pencher la balance vers la première hypothèse : d’une part, en signant désormais de son véritable nom, Ahmad al-Chareh montre que sa mue politique est achevée, et d’autre part, sa grande intelligence stratégique, que tous s’accordent à lui reconnaître, le poussera à tout faire pour réussir à intégrer la nouvelle Syrie au sein de la communauté arabe et internationale, avec en arrière-plan la reconstruction de la Syrie et les centaines de milliards de dollars qui y seront injectées.
Au moment où ces lignes sont écrites, le porte-parole de l’Administration des affaires politiques du groupe islamiste affirme à l’Orient-le Jour que « les nouvelles autorités respecteront la souveraineté du Liban, qui est un pays ami. »
Sophie Akl-Chedid
Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste en direct à l’effondrement d’un pays. Il y aura eu la révolution de palais de 1917 en Russie, la guerre éclair de 1940 par la Whermacht en France.
Ce qui est usant est que certains voient dans les terroristes islamistes de HTS, dont un membre égorgea Samuel Paty, et qui n’ont pas tardé à commencer de massacrer les Chrétiens, les Alaouites, et les Kurdes, les mêmes libérateurs que les hordes menées par Pol Pot.
« Ils font du bon boulot » nous assurait Fabius. Aux Moyen Orient les peuples n’ont pas fini d’être massacrés.