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L’américanisation de la société française : quand la culture est conçue comme un produit…

Entretien avec Yannick Sauveur

Yannick Sauveur vient de publier aux Éditions de L’Æncre L’américanisation de la société française

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul).

« À mon sens, le problème numéro 1 est celui de la langue, le français en voie de disparition au profit du globish. De là tout découle, la baisse du niveau éducatif et de tout esprit critique, un niveau effroyablement bas des connaissances en français, en histoire et plus généralement dans toutes les disciplines littéraires »

 

Qu’entendez-vous par ce terme d’« américanisation » de la société française ?

Celui de mondialisation, plus connu, est plus parlant pour le grand public, mais le terme d’américanisation est plus juste dans la mesure où il indique l’origine, à savoir l’Amérique, sous-entendu les États-Unis dont la puissance politique, militaire, économique joue un rôle d’attraction. Stefan Zweig parle déjà d’américanisation en 1925 et le jazz est déjà connu en France avant la IIe GM, mais la grande vague arrive après 1944 lorsque les GI’ amènent dans leurs bagages le chewing-gum, les bas Nylon, le coca cola et les cigarettes blondes et un peu plus tard, le retour du jazz, le cinéma, le roman policier…

La domination culturelle va de pair avec la puissance politique et ce, d’autant plus que le Plan Marshall (1947) a, entre autres, pour objectif d’exporter des produits américains et la culture est conçue comme un produit. Zbigniew Brzezinsky ne fait pas mystère des arrière-pensées impérialistes : « La culture de masse américaine exerce, sur la jeunesse en particulier, une séduction irrésistible. Malgré l’hédonisme spirituel et les styles de vie stéréotypés qu’elle vante, son attrait n’en demeure pas moins irréfutable. Les programmes américains alimentent les trois quarts du marché mondial de la télévision et du cinéma »…

Il faudrait distinguer deux types d’américanisation, l’une par mimétisme qui concerne les familles aisées qui envoient leurs rejetons aux States (une année pour passer le bac américain, ou études supérieures complètes), l’anglo-américain est une première langue à égalité avec la langue maternelle, et l’american way of life est parfaitement assumé. L’autre américanisation est plus insidieuse, c’est la colonisation douce (Dominique Noguez) ou l’américanisation subliminale de nos cerveaux (François Asselineau), elle est présente dans tous les domaines : loisirs, restauration, vêtements, musique. Américanisation du riche ou du pauvre, américanisation voulue (recherchée) ou subie, le résultat est le même. Et les deux publics peuvent se rejoindre et se retrouver dans un McDo ou dans n’importe quel autre fast food, même non américain, car c’est cela aussi l’américanisation, propager un mode de vie à l’ensemble de la planète.

Cette « américanisation » ne touche pas que la France… Est-elle la même, moindre ou pire, pour d’autres pays ?

Effectivement, elle ne touche pas que la France, elle est mondiale. Même l’enseigne McDonald’s est présente à Pékin ! Alors qu’elle est absente d’Islande (depuis 2009), d’Afghanistan, d’Algérie, d’Iran et de quelques autres pays.

L’américanisation concerne ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident, Non ?

Mais il convient de nuancer. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, les pays d’Europe du Nord sont américanisés presque naturellement. Les pays du bassin méditerranéen, hélas, rejoignent le mouvement ambiant. La France qui fut pendant longtemps une terre de résistance (relative) a, elle aussi, rattrapé son retard (depuis les années 80). En 2024, plus de 1500 points de vente McDo en France ! Les pays de l’Europe de l’Est, et il faudrait y inclure l’ex-Allemagne de l’Est, reste quelque peu épargnée. Le wokisme, la cancel culture, la diversité, l’inclusion et la propagande pro LGBT restent un marqueur occidental. La Roumanie, autrefois très francophile, s’est anglosaxonisée rapidement. Au début des années 2000, n’importe quel chauffeur de taxi parlait français. C’est très rare aujourd’hui. Même la Russie, dont on se plait à vanter la culture traditionnelle, n’est pas à l’abri des vents venant de l’ouest, et les ferments du libéralisme ne sont pas absents dans des sphères proches du pouvoir. C’est du moins l’écho que j’ai d’amis vivant en Russie.

Qu’est-ce qui vous semble le plus critiquable dans l’« américanisation » de la société française ?

Tout est critiquable. À mon sens, le problème numéro 1 est celui de la langue, le français en voie de disparition au profit du globish. De là tout découle, la baisse du niveau éducatif et de tout esprit critique, un niveau effroyablement bas des connaissances en français, en histoire et plus généralement dans toutes les disciplines littéraires.

Mais en parallèle de ce qui précède, le plus critiquable réside dans la démission des gens concernés, tant le citoyen lambda – personne ne l’oblige à fréquenter McDo ou Disneyland – que les élites – gouvernants, élus, journalistes, scientifiques. Toutes les productions scientifiques sont majoritairement en anglais, les conférenciers s’expriment en anglais même s’il y a la traduction simultanée. Comment s’en étonner lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, s’obstine, contre tout bon sens, à ne pas utiliser la langue qui fut celle de la diplomatie pendant des siècles. Quel mépris de la France et des Français ! Ce qui est vrai de la France l’est aussi pour la Wallonie, pour la Suisse romande et pour le Québec. La menace ne pèse pas que sur le français, elle concerne aussi l’allemand et l’italien.

L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) intervenait pour lutter contre la pauvreté dans le monde ; que pensez-vous de son démantèlement par l’administration Trump qui dit vouloir lutter contre le « gâchis » ? Cela aura-t-il un impact sur cette « américanisation » que vous dénoncez ?

L’Administration Trump coupe dans les dépenses et en l’occurrence, elle constate un gâchis. Le budget de l’USAID est de plus de 40 milliards de dollars. Il s’agit aussi, en réaction aux années Obama/Biden d’arrêter le financement des programmes favorisant l’avortement, le planning familial, la diversité et l’inclusion. Sur ce point, nous sommes d’accord.

On feint aujourd’hui de « découvrir » ce qu’était l’USAID, cette agence créée en 1961 sous l’Administration Kennedy, alors que derrière les façades de l’aide et du développement, l’USAID est un outil au service du gouvernement américain. L’USAID a été utilisée par la CIA pour s’infiltrer dans les milieux politiques, soutenant des mouvements d’opposition dans des régimes ennemis. À titre d’exemple, la Bolivie d’Evo Morales expulse, en 2013, l’USAID en l’accusant d’être présente pour des raisons politiques et non humanitaires. En 2012, la Russie expulse l’USAID en raison d’accusations d’ingérence politique et de financement de groupes d’opposition.

Le démantèlement de l’USAID n’aura aucune conséquence bénéfique en Europe. Les dégâts de l’américanisation continueront comme par le passé sous d’autres noms avec d’autres prétextes et en agitant les bons sentiments moraux, le tout au nom de la Liberté et de la Démocratie et en diabolisant un Ennemi, il a été nazi, puis soviétique et maintenant russe et/ou chinois. Et les courroies de transmission étatsuniennes préparent les cerveaux à la guerre au nom de la Démocratie. Rien ne change !

L’américanisation de la société française, Yannick Sauveur, Éditions de L’Æncre, collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », 310 pages, 35 € ; pour commander ce live, cliquez ici.

(2 commentaires)

  1. Grave erreur sur le mot « acculturation » qui signifie précisément le contraire de ce qui est voulu : aller vers la culture. C’est le « ad » latin qui, comme dans arriver, atterrir, attendrir, allumer etc., signifie « aller vers » (la rive, la terre, etc). Au Maroc il existe un mouvement d’acculturation qui signifie aller vers la culture (sous-entendu française) !

    Donc ici il faut soit le « a » privatif (a-culturation), peu pratique à utiliser, soit « déculturation », ce qu’utilisait la génération précédente.

  2. Veuillez corriger, si possible bien sûr, après le « Au Maroc » ajouter « ou en Tunisie » (car j’ai oublié : j’avais tapé une thèse bénévolement sur le sujet pour rendre service à une brave fille qui s’occupait de ma mère…). Merci de votre attention.

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