Relire Bardèche

Alors que trop de « milléniaux » et de membres de la génération Z délaissent le papier pour le numérique, Il est difficile d’imaginer aujourd’hui l’influence considérable exercée des décennies durant sur la jeunesse nationaliste par Défense de l’Occident, revue fondée en 1952 par Maurice Bardèche. Grand universitaire dont la sagacité ne s’appliquait pas seulement à l’étude — et parfois aux dépens — de Balzac, dont il fut le spécialiste incontesté, de Proust ou de Céline, mais aussi en matière de politique, étrangère comprise, d’histoire ou de sociologie.

« Le fascisme, c’est le contraire de ce que les antifascistes appellent le fascisme »`

Les exemplaires de « D.O », comme on disait familièrement, étant devenu rarissimes, il faut savoir gré aux éditions KontreKulture, d’avoir ressuscité cette revue à travers un florilège d’articles réunis sous le titre La droite et l’esprit du fascisme (1).

Mais qu’est-ce que ce fascisme qui « gagne la France » comme s’en inquiétait le 20 juin L’Humanité, qui entend « réveiller les consciences » ?

À l’inverse de Robert Brasillach, son ami et condisciple de l’École normale supérieure et plus tard son beau-frère, Bardèche venait de la gauche. Or, pour lui, le fascisme est une « aspiration », plus morale, mentale et même physique que politique. Considérant qu’ « il y a trois choses essentielles au fascisme : c’est un régime socialiste, c’est un régime hiérarchique, c’est un régime national » — en un mot, « le fascisme, c’est presque en tous points le contraire de ce que les antifascistes appellent le fascisme », dont le salazarisme et le franquisme par exemple étaient fort éloignés — , il ne craint ainsi pas d’écrire en octobre 1957 ces lignes qui, vues d’une certaine droite comme de gauche, peuvent paraître hérétiques : « Beaucoup de résistants, et surtout les plus désintéressés, les plus purs [tels d’Estienne d’Orves ou Tom Morel. NDLR], étaient aussi peu républicains que leurs adversaires et même étaient sans doute aussi “fascistes” que les fascistes d’en face, le malentendu provenant de la présence des Allemands, bien sûr, et du paternalisme réactionnaire de Vichy. »

Faut-il pour autant jeter aux orties le « romantisme fascisme » évoqué dans le livre éponyme de Paul Sérant (1959), les orientations de La Nouvelle Droite à laquelle plusieurs articles nuancés sont consacrés, ou encore le nationalisme maurrassien ? Point du tout mais, selon notre auteur, « formée en 1885, la pensée de Maurras […] était dépassée dans l’Europe d’Hitler et de Staline, dans un monde sur lequel pesait la formidable poussée soviétique que Maurras n’avait pas prévue ».`

Contre l’Europe mercantile

Il plaide donc pour un nationalisme européen car « notre indépendance et notre existence ne sont concevables qu’en même temps que sont préservés l’indépendance et l’existence des peuples voisins ». Toutefois, il ne se fait aucune illusion sur la faisabilité d’un tel projet dans « l’Europe mercantile » de la CEE, simple « addition des faiblesses des États démocratiques qui la composeront », écrit-il en août 1978.

Encore n’avait-il rien vu puisque, conséquence des traités de Maastricht puis de Lisbonne (celui-ci rejeté par référendum en France où, à peine élu président, Sarkozy le fit adopter par le Parlement), l’Union européenne rongée par la corruption — voir le scandale Pfizer/Von der Layen — s’est élargie à des États encore plus corrompus en même temps qu’elle se constituait en formidable machine à broyer les peuples en criminalisant leurs droits les plus légitimes et en les vouant au métissage, inéluctable résultat de la submersion migratoire. À moins évidemment, celle-ci étant devenue trop flagrante ainsi que les désordres qu’elle engendre, que cela ne suscite un sursaut à l’échelle continentale.

A cet égard, les prises de conscience du Danemark et de la Suède — où se tint en 1951 la fameuse conférence de Malmö organisée par Per Engdahl, futur inspirateur du mouvement Bevara Sverije Svenkt (Gardez la Suède suédoise !) et réunissant entre autres orateurs Maurice Bardèche et sir Oswald Mosley —, comme les progrès constants de l’AfD allemande ou l’élection à la présidence de la Pologne de Karol Nawrocki, taxé d’extrême droitisme parce qu’il refuse la présence de migrants, et de poutinophilie parce qu’il veut renvoyer chez eux une bonne partie des réfugiés ukrainiens en âge de se battre, contre la Russie justement, sont des signes encourageants.

Au fil des pages, on est frappé par la prescience de Bardèche. En février 1954, fustigeant « l’Europe sans âme, l’Europe des marchands », de plus totalement inféodée à Washington, il estime que l’« Europe de notre nationalisme » enfin libérée de ses liens atlantistes pourrait même « traiter honorablement avec la Russie soviétique car la Russie soviétique a droit, elle aussi, à la justice, et elle n’est pas nécessairement, inéluctablement, l’ennemi des peuples européens ». En 1979, il souligne le « caractère fondamental de la réalité ethnique dans un monde qui s’organise sous nos yeux en grandes unités ethniques, qui nous annonce déjà un partage du monde selon des clivages ethniques ».

Nous y sommes, même si les artisans et les partisans de ces clivages préfèrent souvent draper leur vision racialiste d’un voile « humaniste » ou au contraire religieux.

Camille Galic

  1. La Droite et l’esprit du fascisme, 274 pages, 18,50 euros. www.kontrekulture.com

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