Alésia

Des lieux où souffle l’esprit : mon Alésia à moi est tout à fait comtois !

« Est bien fou du cerveau qui prétend contenter tout le monde et son père / Essayons toutefois, si par quelque manière / Nous en viendrons à bout. » Vaste et vain programme ! Cette parabole de Jean de la Fontaine (Le meunier, son fils et l’âne) sous-entend que tout un chacun, dans l’existence, donne son avis sur tout, défend sa cause à maints propos, ne jure que par son raisonnement, son expérience, ses intérêts. En matière d’Histoire, en matière d’Histoire principalement, les controverses sont fréquentes. Les avis divergents, se doivent d’être divergents et confrontés dans des débats contradictoires en toute liberté sans que Thémis ne s’en mêle. Pas plus que les idéologies ne doivent manifester ni leur empire, ni leurs interdits, ni leurs sanctions.

L’Histoire, science humaine

Emile Durkheim écrivait qu’il fallait étudier les faits humains et donc sociaux comme des choses : une pantoufle, un abat-jour, un kilogramme de savon mou, une chaufferette ou une chambre à air… Froidement, sans émotion, avec détachement, objectivement et tout bonnement. C’était un anti-wokiste avant l’heure. Aujourd’hui l’Université prodigue le contraire tout en s’en défendant. Quelle régression, quelle faillite intellectuelle, quelle misère (de l’historiscisme, dénoncé par Karl Popper, critiquant l’autre Karl, Marx). Il ne reste plus qu’à réhabiliter Lyssenko de manière plus sérieuse que ne l’a fait jusqu’alors le Club de l’Horloge sous le regard toujours pétillant, rieur et sarcastique de Jean-Yves Le Gallou, ce boute-en-train si sérieux, inventeur de la très prisée « Cérémonie des bobards d’or ». Et en matière d’Histoire… Des bobards, y’ en a ! Et des fameux… Suivez mon regard mon cher Gérard, voyez ma vue mon bon Lulu, c’est pas de travers cousin Robert !

L’Histoire, comme la sociologie ou l’ethnologie et même le droit est une science humaine… L’historienne Marion Sigaut, maitresse-quenellière émérite considère, par modestie, que ce n’est pas une science mais une discipline. Humaine, trop humaine… proche de la politique hélas. Alors on peut la trifouiller, on la tripatouille, on l’adapte et même on fabrique des pièces à conviction de toutes pièces, avec pour objectif d’établir un dogme, un socle fondateur basé puisqu’il le faut bien, sur un mythe, qui n’est pas forcément du vingtième siècle… T’as le bonjour d’Alfred ! Le chanteur Yves dit Duteil, ci-devant Deutsch, accessoirement petit-neveu du capitaine Dreyfus, n’avait pas tort de goualer : « Ce n’est pas ce qu’on fait qui compte, c’est l’histoire, la façon dont on raconte, qu’on découpe ou qu’on détaille (tiens donc) selon l’auditoire ».

Songeons à Rémus et Romulus. Cette fable Rome antique et romanesque des fils de la louve reprise en chanson par L’Opéra Nazionale Balilla (« Inno dei figli della lupa »). Ainsi qu’à une certaine Misha Defonseca, ci-devant Monique de Wael, qui se l’est appropriée, inventant une ascendance ayant très souffert qu’on ne présente plus, et retraçant ses affabulations dans un livre à succès, Survivre avec les loups, écrit en collaboration avec Vera Lee, puis mis en film sous le même nom. Mascarade éhontée et combien lucrative, soutenue par un CNC qui n’a rien à voir avec l’association d’ancien combattants de feu Roger Holeindre, je veux parler du Centre National du Cinéma qui coûte une blinde au contribuable et ne supporte et ne produit que des long-métrages lénifiants merdes en colique.

De la même manière et selon les Annales historiques de la Révolution Française, l’armée de l’An II et la levée en masse forment la création d’un mythe républicain. Nous ne parlerons pas, ni de l’affaire Dreyfus, ni d’un ouvrage commis par Roger Garaudy, figure importante du PC »F » de 1933 à 1970, où il est question, une fois de plus du concept de « Mythe fondateur ».

L’arlésienne Alésia

Evoquons plutôt Alésia… « Sa découverte archéologique d’Alaise a fait revivre en France le culte des souvenirs de l’ancienne Gaule ». Cependant, comme disaient, avec un accent auvergnat très prononcé, moult personnages de la BD Astérix le Gaulois dans « Le bouclier Arverne » : « Nous ne chavons pas où ch’est, Alégia ! » et Abraracourcix d’enfoncer le clou une bonne fois pour toutes : « Alésia ? Connais pas Alésia ! Je ne sais pas où se trouve Alésia ! Personne ne sait où se trouve Alésia ! ».

Y’en a d’çeux qui prétendent que c’est en duché de Bourgogne, à Alise-Sainte-Reine que s’est déroulée la bataille, sur l’oppidum des Mandubiens. Cette identification qui est très probable, adoubée par l’inestimable et prodigieux historien Michel Mourre, a été permise grâce aux résultats des fouilles engagées, de manière très sérieuse et scientifique à l’initiative de Napoléon III accompagné dans sa démarche par Henry d’Orléans, et de Prosper Mérimée. Un autre site est défendu par l’archiviste André Berthier ainsi qu’un certain Jean-Luc Mélanchon dit « le hargneux » (la République c’est lui, bon sang de bonsoir !), après une recherche par « portrait robot », qui situe le lieu du siège à Chaux-des-Crotenay, près Champagnole, très charmant village du Jura. Le président de La France Insoumise est tout ce qu’on veut sauf un sot, il connaît bien le sujet, a lu La guerre des Gaules, s’est rendu sur les endroits et déclare : « Il est clair qu’une fois sur place, après avoir suivi la reconstitution et vu les lieux des deux camps romains où étaient installés 25 000 légionnaires, on se fait une idée personnelle. J’évite de dire laquelle. Car je me souviens des polémiques que m’avait values mon intérêt pour le site jurassien qui se réclamait être le vrai site d’Alésia… En France, l’Histoire est un sujet chaud bouillant comme on le sait et souvent un enjeu politique. » Une fois n’est pas coutume, nous sommes bien d’accord et l’on ne saurait mieux dire.

D’autres soutiennent que les combats se déroulèrent, qui à Salins-les-Bains dans ce même département, qui à Pont-de-Roide dans le Doubs, qui à Izernore dans l’Ain, Novalaise en Savoie, Aluze en Saône-et-Loire. Comme disait souvent Brigneau, va savoir Grégoire ! Les plus insolents imaginent l’engagement dans Paris, dans le XIVème arrondissement, sur un carrefour qu’un souterrain fortifié traverse, entre l’avenue du Maine et l’avenue du Général-Leclerc, donnant son nom à une rue et à une station du métropolitain.

Le géographe Ernest Desjardins ne se fie quant à lui qu’aux textes antiques et affirme que le site ne peut-être ailleurs qu’en Franche-Comté. Napoléon III lui-même hésitait dans son choix entre Alise-Sainte-Reine et Alaise. Ce village n’existe plus à l’état civil, supprimé d’un coup de plume le premier juillet 1973. Et pourtant je m’y suis promené dans ce désert rural difficile d’accès et qui portait le nom d’Alésia au XIIème siècle.
Personne ne vient plus dans la forêt de Fertans où coule le Lison. Les grandes villes tout autour sont de modeste taille et les capitales locales sont inconnues du plus grand nombre. Quel élève de terminale peut-il situer sur une carte de France, Arbois, Ornans, ou même Pontarlier ? Et dire que nos anciens, passant l’examen du certificat d’étude, le faisaient si aisément…

Alaise, à l’aise Blaise !

Tant mieux si le site n’est pas prisé par les touristes, la promenade n’en est que plus sereine et le lieu d’autant mieux préservé. Il est des lieux où souffle l’esprit, en tout particulier celui-là. Qu’ils ne soient pas souillés par la multitude est une très bonne chose. Nietzsche (qui, tout comme Barrès, a influencé Bernanos, Maurras et Michel Mourre cité plus haut) disait : « Je hais la foule inculte et me tiens à l’écart ». A l’écart, ici, nous sommes ! ma foi, c’est bien vrai.

On arrive par la D139 pour gagner le chemin de la Gauloise sous le regard d’un buste de bonne facture représentant Alphonse Delacroix qui découvrit le gisement de sel de Miserey et qui nous dit post Mortem : « II existe une localité qui, jusqu’au XIIIème siècle a conservé intact son nom d’Alésia et règne encore au milieu des vestiges du plus vaste champ de carnage qui soit connu. C’est là, c’est à Alaise que nous plaçons le siège mémorable qui a terminé la lutte de Vercingétorix ; c’est là que nous voyons le dénouement de la guerre de Séquanie… »

Vérité en-deçà du massif du Jura, erreur au-delà ! Alésia jacta est ! Ce qui est absolument certain, c’est qu’Alaise a été un immense oppidum gaulois, bénéficiant littéralement de défenses naturelles liées à son implantation sur des lieux difficiles d’accès. Nous nous trouvons sur les ruines du camp de Châtaillon protégé par un éperon barré de presque deux kilomètres. En 1869, on distinguait encore 150 structures de forme circulaire ou carrées, reliefs de huttes. Les abris sous roche que des murs de pierres sèches, en avant, protégeaient, sont encore visibles. Des milliers de tumuli, sépultures très anciennes, ont été retrouvés aux alentours. A l’intérieur de ces tombes, gisent et s’amoncellent os humains et équins, des bijoux et des armes ensevelis. Il m’est un peu pénible de constater, sans la contester, cette profanation, puisque deux cents sépultures furent fouillées. Les chercheurs ont mis la main sur de nombreux bracelets, fibules, épingles et armes qui appartenaient à des gens de notre race.

Peu importe maintenant ! Les arbres, les arbustes, les arbrisseaux ont rétabli tranquillement l’ordre naturel si cher à Charles Maurras, cet ordre ancien et nouveau, en plongeant leurs racines sous et sur les pierres rabotées par la pluie, le gel, l’action ardente du soleil qui est notre emblème et qui surgit partout, en ces endroits discrets, moussus, humides sous les frondaisons.

Voilà la rencontre esseulée avec les vieilles fondations et les baliveaux regagnant leur droit sur terre, tel l’Irminsul. On a peine à fouler le sol, à s’introduire avec respect et retenue sur les vestiges de maisons où vivaient des enfants, des mamans, des papas gaulois à tête blonde et des vieillards chenus. On fait attention, on est comme dans une église. On se tait. Les branches craquent et nous délivrent leur secret, les pierres branlent en murmurant leur plainte, l’humus étale son odeur de terre et de feuilles pourries. Il n’y a plus de bruit, plus de lune, plus de vent.

Ici ou ailleurs, après la défaite de sa cavalerie, Vercingétorix vint s’enfermer dans la place. Il garda avec lui ses fantassins et se munit de vivres pour un mois en attendant vainement un renfort de tous les peuples de Gaule. Pendant ce temps-là, César eut l’idée de construire une double fortification autour de la position. L’une contre les assiégés, l’autre contre les secours attendus du dehors. Pris entre les deux, les vieillards, les gosses, les femmes s’étant vu refuser le passage agonisèrent entre les murs et les tranchées romaines. Définitivement abandonné, Vercingétorix dut se rendre, ses soldats furent vendus comme esclaves et lui-même envoyé captif à Rome, où il fut exécuté, sept ans plus tard. La soumission des Arvernes s’ensuivit ainsi que celle des Eduens, race dont se réclamait Henri Vincenot.

On dira ce qu’on voudra, mais quand on est sur la place, on a un pincement au cœur. Les pieds foulant avec timidité et humilité l’imposant Camp de Châtaillon situé sur le dessus plat d’une petite montagne entourée de ravins de cent-quarante mètres tombant à pic, visibles depuis le belvédère.

Franck Nicolle

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