La littérature militaire, les livres de guerre, cela concerne assez peu les femmes. Jusqu’à une date récente, la guerre était d’ailleurs exclusivement une affaire d’hommes (d’où le caractère extraordinaire de l’épopée de Jeanne d’Arc ou de celle de Jeanne Hachette). Je ne suis pas certaine que la mixité militaire généralisée – en dehors des missions hospitalières – ait constitué un grand progrès « sociétal ». C’est sans doute pourquoi ma bibliothèque ne comporte pas de livres de cette nature.
Mon grand-oncle François Brigneau a toujours essayé de me faire lire Junger, Clostermann ou encore Guy Sajer. Il plaçait ces ouvrages au sommet du genre. Il avait sans doute raison, mais j’avoue n’avoir jamais eu le courage de me lancer, d’autant que ma passion littéraire, ce sont les « hussards », et que cette passion ne m’a pas encore permis de lire la totalité des livres de Nimier, Jacques Laurent, Blondin, Déon, ni non plus tous les livres de leurs amis et de leur environnement : Michel Mohrt, Kléber Haedens, Eric Ollivier, Stephen Hecquet, Geneviève Dormann, Félicien Marceau, et bien entendu le trio Morand-Fraigneau-Chardonne. De quoi occuper, à eux seuls, une vie entière de lecture !
Aussi, quand j’ai reçu en service de presse Les nostalgiques, de Saint-Loup, je me suis dit que ce n’était pas un livre pour moi. Je savais certes que Saint-Loup avait écrit, pour les Presses de la Cité, une trilogie de romans consacrés aux volontaires français du Front de l’Est, livres qui avaient, à l’époque (les années 1960), remporté un très grand succès, et dont Les nostalgiques constituaient le troisième tome. Je savais que ce dernier livre avait donc été précédé par Les volontaires, et Les hérétiques. Mes petits camarades de jeux (politiques) faisaient grand cas de ces trois romans, comme ils portaient également aux nues ceux de Saint-Paulien sur le même thème.
Par politesse, j’ai donc feuilleté cette splendide (comme tous les livres d’Auda Isarn) réédition des Nostalgiques, pour m’apercevoir qu’en fait il ne s’agit pas du tout d’un livre de guerre ! Plutôt une série de nouvelles qu’un roman. Et du coup je me suis plongé dans ces textes.
Cela se passe au cours des vingt années qui ont suivi la guerre. Ces nostalgiques, héros du livre, sont les rescapés du Front de l’Est, Français de la LVF et de la Charlemagne. « Ils sont peu nombreux. Beaucoup d’entre eux n’ont pas d’histoire, après leurs séjours en prison de 1944 à 1953 », écrit Saint-Loup dans l’introduction. « Bons citoyens, bons époux, bons pères de famille, ils n’intéressent personne, sinon le percepteur ! ».
Saint-Loup présente donc dans ces pages le destin de la minorité d’une minorité, des hommes « restés figés dans la nostalgie d’un monde disparu », ayant essayé de survivre dans la paix comme dans les guerres lointaines en observant sa loi ».
C’est un très beau livre, pas vraiment un roman, donc, car Saint-Loup nous précise aussi que « tous les personnages décrits existent [l’avertissement était daté de 1967…] ou ont existé. Toutes les situations décrites sont authentiques ». Le qualificatif de « roman » tient essentiellement au fait que les héros du livre ne sont pas désignés par leur vrai nom, et que l’auteur a procédé à des « transpositions de temps et de lieu », mais, précise-t-il « qui ne modifient jamais le caractère de l’action ».
C’est un très grand roman, qui a le goût de l’authenticité. Je vous mets au défi, de ne pas avoir la larme à l’œil en lisant par exemple l’histoire du breton Jean Benvoar, ancien de la LVF, amputé des jambes, sujet à des crises d’épilepsie du fait d’éclats d’obus fichés dans la tête, paralysé du côté droit, vivant sous les ponts de Paris. Sa femme a été assassinée par des « résistants ». Dans la France d’après-guerre, il se bat désormais pour la reconnaissance d’un statut de mutilé de guerre, ancien combattant de la Wehrmacht, qui lui ouvrirait peut-être le droit à une prothèse et à des soins. « Je suis venu pour toucher ma pension d’invalidité ! » explique-t-il à l’attaché d’ambassade d’Allemagne.
Et il y a les autres, ceux qu’on retrouvera en Corée, dans les rizières d’Indochine, et les djebels algériens, voire au bush sud-africain.
J’ai adoré ce livre, et du coup, malgré ma prévention à l’égard de ce type de récit, je vais acheter les deux premiers tomes. Faites-en donc autant, messieurs, et même mesdames !
Madeleine Cruz
Les nostalgiques, par Saint-Loup, Ed. Auda Isarn, 21 euros (+port)
J’aime bien Madeleine Cruz mais serait-elle sexiste ? Pourquoi la littérature militaire concernerait-elle « assez peu » les femmes ? Jusque vers mes 30 ans, j’ai lu avec passion « La Comédie de Charleroi » de Drieu, la trilogie de Saint-Loup, « Le Soldat oublié » de Sager, les albums de Bigeard (« Pas une bête au monde… ») sur le 3ème RPC, les livres de Lucien Bodard ou la trilogie d’Erwan Bergot sur l’Indochine, les récits de Philippe Héduy sur et de Jean Mabire sur l’Algérie et quantité de livres sur la Légion. Je n’étais pourtant pas issue d’une famille de militaires, et je n’ai jamais eu envie de l’être, mais c’était notre histoire, que la presse déformait tant, et je voulais mieux la connaître. Et « Les Orages d’acier » de Jünger furent une révélation.
Plusieurs de mes amies étaient dans mon cas.
Une sélection très bien choisie, en tout cas. J’espère que Madeleine Cruz suivra vos conseils.