Jehanne

Des lieux où souffle l’esprit : sur les (premiers) pas de Jehanne à Vaucouleurs

Si la princesse Blanche de Bauffremont habitait dans son château au village de Beaufremont (ancienne place-forte du duché de Lorraine où elle s’endormit, il n’ y a pas si long de temps, en 2019, dans la paix de la Sainte-Famille), le seigneur Robert de Baudricourt ne logeait pas à Baudricourt (le village porte cependant son écu d’or au lion de sable, couronné, lampassé et armé de gueules), mais dans un bourg voisin dont le nom claque comme au vent comme un étendard (de la délivrance).

Nous sommes ici dans le pays charnel de la Pucelle (Domrémy n’est pas loin), mais aussi celui de Maurice Barrès (natif de Charmes dans le Saintois), de sa colline inspirée de Sion-Vaudémont, du maréchal Lyautey qui honore de son nom le village de Thorey-Lyautey et son musée national du scoutisme, et du petit Versailles local appelé château d’Haroué, castel des Beauvau-Craon. Tous ces patelins se tiennent sur la carte comme dans un mouchoir de poche, et nous nous disons in petto, quels lignages, quelles familles, quels titres, quelle noblesse, quelles terres ! Ce sont les meilleurs auspices et les meilleurs aspects de la France.

Dirigeons-nous donc en Meuse endormeuse, si chère à Charles Péguy. Il écrivait, évoquant la sainte de la patrie : « Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance, Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas. Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance En des pays nouveaux où tu ne coules pas. Voici que je m’en vais en des pays nouveaux : Je ferai la bataille et passerai les fleuves ; Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux, Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves. » Ainsi dit, ainsi faict ! Alors Jehanne s’est rendue à Vaucouleurs et a demandé au seigneur de Baudricourt une première fois, puis une deuxième fois en vain, une escorte afin de se rendre auprès du Dauphin, à Chinon. La troisième tentative fut la bonne. Quittant Vaucouleurs par la Porte de France, équipée aux seuls frais des petites gens du pays, un cheval, une épée, une armure, un signe de ralliement, elle commence son destin de commandant escortée de ses six premiers frères d’arme le 23 février 1429. Ainsi sept cavaliers quittèrent la ville au ponant par la porte de l’ouest qui était très bien gardée… (salut à Jean Raspail en passant).

Une ville fidèle à la Pucelle

Si la cité blanche a un peu perdu de ses couleurs, elle reste dans son jus, avec ses façades anciennes (peut-être Renaissance ? comme écrivait Brasillach, je ne m’y connais pas très bien, « Je ne sais rien ») sans enseignes commerciales connues, traversée par le tout petit canal de la Haute Meuse, que surplombe la Porte de France, l’ébauche d’une tour, la chapelle castrale qui veille depuis là-haut l’église Saint-Laurent (il y a enfin de l’eau dans le bénitier). Au village, sans prétention, on croise un curé en soutane et brodequins de marche à jambières attenantes, règlementaires, qui s’en va à la pharmacie.

La petite ville de grand renom n’a jamais renié la bergère. A Vaucouleurs, il est écrit fièrement : « Dans le cœur de la cité, bat le cœur de Jehanne. » Et je crois bien que c’est vrai, elle est partout, elle est commémorée, honorée, plus qu’à Rouen dont je suis natif, plus qu’à Orléans que je connais, plus qu’à Reims où nous nous sommes promenés et même peut-être plus qu’à Domrémy…

Les sites remarquables bâtis ou naturels sont rassemblés en même lieu. Voici la crypte de la chapelle castrale, c’est ici qu’à chacune de ses rencontres avec Robert de Baudricourt, Jehanne aimait se recueillir devant la statue de Nostre-Dame des Voûtes. Jehanne aimait les arbres, son chêne, son bois-chenu à Domrémy et ce tilleul six fois centenaire, toujours vaillant, toujours « Présent », moussu, usé, qu’elle a touché elle-même comme je l’ai fait hier. Voici la tour Pagis, projet inachevé et pourtant monumental, l’église Saint-Laurent, incendiée par les Bourguignons en 1544 et, devant l’hôtel de ville, la stupéfiante statue équestre initialement installée à Alger, puis rapatriée à Vaucouleurs, la cité qui arma Jehanne d’Arc. Aux pieds de l’édifice, trois gerbes de fleurs fraîches sont encore en place. Vaucouleurs est une ville fidèle ! Et le 8 mars une date haute en couleurs !

Fions-nous à L’Almanach de l’Histoire d’André Castelot (Librairie Académique Perrin. 1972): « Le mardi 8 mars, à haulte heure, le jour déclinait, la pucelle souriante et calme, toujours vêtue de son habit d’homme noir et rude, monte la rue à pente raide. – Va hardiment, lui ont dit ses Voix. Quand tu seras devant le roi il te recevra et te croira ! »

Franck Nicolle

Légende de l’illustration :

1, Tour Pagis. 2, Chapelle gothique, romane d’origine. 3, Porte de France. 4, Tilleul séculaire. 5, Plaine vallonnée traversée par la Meuse.

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