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Des lieux où souffle l’esprit : la source du Planey à Anjeux

« Y’a des gens de la Haute-Saône qui se disent explorateurs, d’avoir visité la terre du pôle nord à l’équateur, moi qui suis d’la Coloniale, mes moyens m’ permettent pas ça !». J’ai pas visité la terre jaune, mais cette délicieuse source bleue et j’en suis pas plus fier pour ça ! Les marsouins, les bigors, reconnaîtront la chanson.

Son écrin boisé est un jardin extraordinaire, comme chantait Trénet, loin des noirs buildings et des passages cloutés (y’en a plus), situé dans un département on ne peut plus périphérique où il ne se passe rien, ou presque. La Haulte-Saône, ma doué ! Qui s’en soucie ? C’est-t-y sur la carte eud’ France ? Capitale : Vesoul, ça fait rire… rien que le nom, promu par le grand Jacques, ça sonne péquenouze (néologisme célinien). On peut rouler deux heures dans la contrée, montre en main, sans croiser un automobiliste… C’est heureux, si vous vivez de calme, de contemplation et pratiquez, comme vostre serviteur, cette devise mussolinienne : « Non esco con nessuno, non ho bisogno di nessuno, non refuto nessuno » ; autrement dit : « je ne cherche personne, je n’ai besoin de personne, je ne rejette personne ».

Pas superstitieux pour un sou car ça porte malheur, je ne viendrai certainement pas m’aventurer par une nuit sans lune, au bord de cette rafraîchissante résurgence qui titre 11°C toute l’année, quelle que soit la saison, à la teinte cobalt presque inquiétante, et littéralement imbuvable, car très chargée en sels, carbonate de calcium, sulfates de calcium et surtout de magnésium. Il y a trop d’histoires de sorcellerie dans cette commune d’Anjeux (142 habitants, une église, un lavoir napoléonien). Les gens d’ici parlent de légendes, que nenni ! Au total, cent-septante procès eurent lieu à la fin du XVe et pendant le XVIe siècle en Franche-Comté, vieille et grande province bourguignonne, séparée en quatre départements en 1793, mais plus de la moitié des « coupables » étaient issus de ce tout petit pays luxovien — Vosges Saônoises, pays de Luxeuil-les-Bains et de saint Colomban, où nous irons bientôt. Procès qui ne se sont donc pas déroulés au Moyen-âge, comme on nous le serine toujours, et qui n’ont pas été menés par L’Inquisition (tribunal ecclésiastique dont le domaine de compétence se limitait à l’hérésie) mais sous l’empire de juges laïcs pendant cette très horrible période de la chasse aux sorcières et aux sorciers, sévissant en Europe et dans les pays protestants plus particulièrement.

Dans les procès-verbaux instruits non par l’Inquisition, comme les soit-disant journalistes incultes de la presse locale le répètent comme des perroquets, mais par la justice franc-comtoise laïque, reviennent comme lieux de sabbat la plaine de Chantereine et la source du Planey, cadre correspondant à l’affaire Desle la Mansenée depuis la naissance des rumeurs à propos de cette habitante du village d’Anjeux, aux « pratiques médicales suspectes », jusqu’à son exécution par le feu, comme « les pires criminels », en passant par les interrogatoires, la torture et le procès. Le prévôt de l’abbaye, le prévôt fermier et le doyen s’étant désistés, ce furent les gouverneurs et bourgeois de Luxeuil qui prononcèrent la sentence : « estre publiquement bruslée et arse… ». L’historienne (et bonne cuisinière, spécialisée en quenelles), Marion Sigaut vous éclairera davantage sur ce sujet que je ne puis le faire, n’étant pas plus historien moi-même que ne l’était ce triste sire de Jules Michelet.

On accède à la source enchantée par un chemin hanté par le chant des oiseaux (maintes espèces, différents accords modulés et joyeux, vibrations perceptibles des battements d’ailes de papillons et de libellules au moteur de Stuka), dans la douce chaleur moite caractéristique des sous-bois. Voici l’ail des ours, les lierres, les fougères, quelques ronciers prometteurs en fruits, les arbres de belle stature et de haute futaie, des traces de sabots ou de pattes dans la boue qui peine à sécher, signatures d’animaux sauvages ou de chiens en promenade… Et l’on se surprend à siffler sous les feuilles, où passent les rayons du soleil par filets, comme Hermann Löns en sa lande, « L’air des mûres sauvages » sans se soucier des loups-garous du temps jadis.

Dans ce petit pays, vivent des vaches gentilles vêtues de robes de tous les coloris, guernesey rousses au regard si doux, petites vosgiennes piquetées noir et blanc, salers cornues, et veaux tout gamins, des chevaux forts comtois de petit gabarit, des poulains affectueux et même des bisons ! Ici toutes les églises sont fortes et d’ancienne facture, XIIIème, XVème, apparaissant comme ça au détour d’un chemin en pente. Route vallonnée, villages attachants dépourvus de tous commerces. Bouligney, sa fontaine, sa mairie-lavoir encor’, napoléonien comme tous ici.

On ne peut pas s’arrêter partout, même si l’évocation de Saint-Loup (sur Semouse) nous invite à l’incartade. Nous aurons pour décor la rivière, un clocher qui n’est pas comtois d’aspect, des arbres bien alignés et touffus autours desquels volent en silence dix millions de coccinelles.

Franck Nicolle La fidélité du tour de Gaule.

Marion Sigaut sur l’Inquisition et la chasse aux sorcières :

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