Qu’est-ce qu’un crackerjack ? Jean-Claude Sacerdot, ancien flic du temps du Quai des orfèvres, publie un nouveau roman, le onzième, je crois, intitulé Blues de vaches (vous saisissez le jeu de mot !),avec un bandeau sur la couverture portant l’inscription The crackerjack. Si j’ai bien compris The crackerjack est le qualificatif, presque le surnom, donné au héros.
Mon niveau d’anglais étant assez moyen, j’ai préféré me renseigner auprès de mes neveux, qui parlent mieux la langue de Shakespeare que celle de Molière, ce que je trouve d’ailleurs assez inquiétant pour l’avenir. Ils m’ont expliqué qu’en anglais du slang, c’est-à-dire en argot, un crackerjack est un champion, une « grosse pointure », un « super-mec », si vous préférez.
Dans ce roman du sieur Sacerdot, – Jean-Claude pour les intimes -, (dont j’avais lu le roman policier Le hussard porte le shako, paru chez Auda Isarn dans la collection de polars du « Lys noir »), le personnage central est un psychothérapeute, expert auprès des tribunaux, et qui conseille aussi la Brigade criminelle. Le bandeau semble indiquer que notre Sacerdot, aujourd’hui retraité et réfugié dans sa thébaïde normande, prévoit d’écrire une véritable série dont le héros sera ce personnage, marchant ainsi sur les pas de Chesterton, avec son père Brown, de Leslie Charters avec son Saint (Simon Templar), et de bien d’autres auteurs de polars qui surent créer des personnages placés au cœur d’enquêtes policières sans être pour autant policiers ou détectives.
La couverture du roman est épatante : elle rappelle les meilleurs dessins de Gourdon, qui faisaient le charme des « Fleuve noire », série « Spécial police », dans les années 1950 à 1970, quand les « polars » étaient signés Peter Randa (le père de notre ami Philippe Randa), San Antonio, et autres Léo Malet. Depuis lors les dessins ont été remplacés par des photos. Et aujourd’hui par des couvertures plus sobres encore. Dommage.
Ce Blues de vaches, s’agit-il d’un roman policier ? Difficile à dire. L’intrigue est incontestablement policière, mais elle est très largement supplantée par les jeux de mots, les apartés, et les petits coups de canifs dans les travers de la bien-pensance.
« Prenez un grand saladier : mettez-y Céline, Rabelais, Marcel Grancher (…) et un zeste d’Alphonse Allais »
Car à l’évidence ce qui amuse Sacerdot, c’est de se livrer à une critique du monde d’aujourd’hui, et en particulier du wokisme et autres turpitudes, en jouant sur les mots et en multipliant les digressions vachardes pour les têtes d’œuf de notre époque. Le style de Sacerdot ? Prenez un grand saladier : mettez-y Céline, Rabelais, Marcel Grancher (écrivain humoristique lyonnais d’avant-guerre), et un zeste d’Alphonse Allais. Remuez le tout en y ajoutant du poivre, de la muscade et du piment, et vous aurez une petite (toute petite) idée de ce qu’est un roman sauce Sacerdot.
C’est un plat qui se mange froid, polar oblige, un plat très épicé, qui demande de la concentration, pour en apprécier tout le suc. Car Sacerdot nous la sort bonne, à chaque ligne. Cette déferlante de calembours (bons), jaillis à la vitesse d’un tir de kalachnikov, dilue parfois l’intrigue au point que nous sommes obligés de remonter dans les lignes du texte pour retrouver le fil du récit proprement dit, comme un nageur de crawl qui se laisserait emporter un temps par la marée descendante.
Il y a aussi des héroïnes, dont une niakouée nommée Tô-Tâm qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Mais de tous ces héros secondaires, celui que vous préfèrerez sera sans doute, « Shasha », la chatte du héros, présentée comme « une Chihuahuate d’amour ». Un héros qui aime les chats ne peut que m’être sympathique.
Longue vie, donc, au crackerjack.
Madeleine Cruz
Blues de vaches, par Sacerdot, 2024, 292 p., Ed. Erick Bonnier, 5 rue du Helder 75009 Paris, 21€
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