Makine

Un écrivain revint de guerre, désenchanté mais lumineux, Andreï Makine

Le bonheur du critique littéraire est de suivre une oeuvre, de la voir s’épanouir et d’être à chaque fois comblé par le récit et le style. Je lis l’écrivain franco russe Andreï Makine, aujourd’hui académicien, depuis 27 ans.Depuis ses premières parutions dont le célèbre Testament français, prix Goncourt et prix Goncourt des lycéens.

Il publie presque tous les 2 ans un roman magnifique. Le dernier, L’ancien calendrier d’un amour est une fresque du 20ème siècle russe. Le roman commence dans le cimetière des hauteurs de Nice où un vieux russe exilé conseille à un jeune homme :« Ne dites jamais » ce n’est plus » mais dites toujours avec gratitude »ce fut ». Le héros a connu les horreurs de la révolution russe inspirée de la nôtre, ne pas l’oublier, l’exil à Paris, la guerre, la résistance. Un amour de quelques jours dans le champs des derniers épis en Crimée sera son viatique pour la vie entière. Pourquoi l’ancien calendrier pour cet amour ? Parce que les soviétiques comme nos révolutionnaires ont changé le calendrier.

Evoquons son style d’abord. Un écrivain, amoureux des lettres, Nicolas Soudray sur le site Montesquieu avec nous, souligne, dans une comparaison avec François Cheng, leur extraordinaire force de maîtriser deux langues et de la manier en poète.

Etonnante est la poésie qui se dégage des rivages de Crimée, ce paradis russe en 1914 qui deviendra un enfer lorsque les soviétiques acculeront à la mer les russes blancs, ces amours sur un champs des derniers épis, épis qui demeurent après les bombardements, cette délicatesse d’une table dressée avec amour par une pauvre fille pour honorer son jeune amoureux dans un phare à moitié écroulé où se cachent les héros. Ces moments de bonheur dans l’oeuvre de Makine surgissent comme des éclairs au milieu de la tempête et l’on sent que l’écrivain est profondément désenchanté. Son enfance fut endeuillée et cruelle et avant de s’exiler, il fit la guerre,notamment en Afrique. Il en revint comme on revient de l’enfer ne croyant plus en rien ni personne. Il dit, le 27 février dernier dans un entretien au Figaro, qu ‘il vit le conflit russo-ukrainien comme un déchirement insoutenable. D’où un halo de tristesse mélancolique qui nimbe ses lignes. On retrouvera le héros à Paris, sous l’Occupation où il aide les résistants. Un film pourrait s’inspirer de ce livre et ferait comprendre quelques petites choses à nos contemporains sans savoir ni mémoire.

On a évoqué bien à tort, un 19ème siècle stupide, mais le 20ème lui succéda, sinistre et mortifère. Les très nombreux lecteurs de Makine témoignent tous de l’élégance dans le malheur de certains êtres qui permettent de ne pas désespérer complètement de l’humanité.

Anne Brassié

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