Quand elle était en vente dans les kiosques, j’achetais souvent la revue trimestrielle Réfléchir & Agir. Je crois qu’ils ont récemment abandonné ce mode de diffusion, devenu de moins en moins rentable. C’est regrettable pour les kiosquiers, parmi lesquels nous comptons beaucoup d’amis.
J’achetais donc cette revue, mais toujours avec une petite pointe de honte, car les professions de foi antichrétiennes à répétition de certains rédacteurs me fatiguaient passablement. Mais j’avoue que les brèves des premières pages et les dessins du dénommé Adolf (fine référence, sans doute, à un personnage de la seconde guerre mondiale) me faisaient souvent hurler de rire. En achetant cette revue, je me faisais un peu l’effet des écoliers boutonneux de la génération précédant la mienne, qui achetaient discrètement Lui, en l’emballant dans la presse locale. Lui n’existe plus, la presse locale est moribonde, les écoliers boutonneux ne lisent plus du tout la presse papier et sur internet ils accèdent, parait-il, à des images autrement plus obscènes…
Je viens de recevoir et de lire le numéro d’été de Réfléchir & Agir, en « service de presse ». Sans doute ai-je été repérée par la rédaction de R&A en tant qu’« influenceuse » patriote ? La moindre des politesses en retour est donc de dire quelques mots de cette scabreuse et néanmoins tentatrice revue.
Il y a notamment un long entretien avec le fameux Adolf (le talentueux dessinateur de presse, pas le peintre autrichien un tantinet pompier). Mais j’ai surtout été intéressée par un article sur les graffiti de détenus, à Fresnes, au temps de l’Epuration.
C’est que l’épuration, je pourrais dire que je suis tombée dedans quand j’étais petite. Je n’étais pas née quand ils ont assassiné Bassompierre. Et lors du grotesque procès Touvier (formidablement défendu par Maître Trémolet de Villiers), j’avais un âge où l’on s’intéresse davantage aux garçons (et aussi à Molière, la grande passion de mes études de lettres) qu’aux péripéties de l’Histoire de France. Mais il se trouve que l’épuration, mon grand-oncle Brigneau m’en a parlé plus d’une fois. Ces murs de Fresnes, les graffiti, les « cabines » de la chapelle pénitentiaire d’où les détenus pouvaient assister à la messe, tout cela il l’avait vécu personnellement et il me l’a raconté. Il avait alors 25 ans. Il a côtoyé Brasillach, Ralph Soupault, ceux dont parle P.D. Boudriot dans R&A. En lisant cet article, je me suis crue un instant projetée trente ans en arrière, quand tonton Brigneau venait me chercher à la Sorbonne pour m’inviter à déjeuner, et me raconter quelques-uns de ses propres souvenirs de jeunesse.
Le temps a passé, le cher grand-oncle nous a quittés il y a onze ans.
Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir un grand-oncle qui a fait de la prison. Il a d’ailleurs été acquitté, ce qui prouve tout simplement qu’il était innocent. Sans doute a-t-il lui aussi écrit quelque chose sur les murs de Fresnes ? Il faudrait que j’aille lire ces graffiti, moi qui connais par cœur cette prison sans n’y avoir jamais mis les pieds. Peut-être reconnaîtrai-je sa belle écriture régulière, appliquée ?
Madeleine Cruz
Réfléchir et Agir n° 78, été 2023, 72 p. B.P. 90825 31008 Toulouse cedex 06