Eric Zemmour, de retour de l’Israël, a publié un article dans le Figaro (livraison du 7 novembre, page 19) intitulé « Je suis allé en Israël pour défendre la civilisation judéo-chrétienne ». Des Français, il écrit très benoîtement : « Ils savent que prospère … sur le sol français un second peuple. Ce peuple a son Dieu, ses fêtes, ses traditions, ses interdits, ses prénoms, ses vêtements et ses aliments, ses frères à travers le monde et ses ennemis millénaires, sa manière de penser, de parler, de prier, de vivre. »
J’en ai chu de ma chaise ! De la sorte, le président de Reconquête entend désigner les Arabo-musulmans mais, aveuglé par la passion, il ne se rend même plus compte que cette définition, qu’il veut négative, s’applique également telle quelle à la communauté juive
En réalité M. Zemmour a énoncé des traits caractéristiques de ce que Ernest Renan et Isaac Kadmi-Coheni, notamment, appelaient le sémitisme! (Aussi est-il absurde de parler d’antisémitisme arabe, les Arabes étant évidemment tout autant des sémites).
Illusion d’une prétendue « civilisation judéo-chrétienne »
Il est consternant de constater, tout d’abord, que des gens aussi cultivés qu’Eric Zemmour ou Michel Onfray, continuent, contre toute raison, à célébrer la permanence d’un prétendu judéo-christianisme dont nous procéderions, Juifs, chrétiens et post-chrétiens.
Le judéo-christianisme fut la branche du christianisme qui resta attachée à la Synagogue et qui a disparu au Vème siècleii. Au surplus, probablement et paradoxalement, il est à l’origine de l’islam, d’où la reconnaissance par celui-ci de l’Ancien testament, de Jésus (le prophète Îssa), de Marie (Maryam), de la pratique de la circoncision et des interdits alimentaires (le halal qui renvoie au casher) dont celui du porc.
En revanche le christianisme universel, c’est à dire catholique (du grec katholicos), qui prospérera précisément en dehors de la Synagogue et dont nous avons recueilli l’héritage, a pris son autonomie dès le premier siècle, sous l’impulsion de saint Paul. On peut dire de ce christianisme-là qu’il est paulinien ou que c’est de l’helleno-christianisme, mais en aucun cas du judéo-christianisme.
Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de civilisation judéo-chrétienne chez nous et, s’il y en a des traces ailleurs, ce sont des traces judaïques résiduelles. Ironie du sort, elles se retrouvent exclusivement au sein de civilisation islamique…
Occident et civilisation occidentale
Occident s’oppose historiquement à Orient, certes. On pourrait alors parler de civilisation occidentale, malheureusement celle-ci ne peut plus être dénommée ainsi au présent, puisque les États-Unis l’invoquent pour imposer leur hégémonie mondiale agressive, dominatrice et décadente. Brutaux et brouillons, les Américains, avec leurs vassaux, ont servi les Israéliens en détruisant les régimes arabes modernistes et profanes (ils n’ont échoué qu’en Syrie, grâce aux Russes), s’appuyant à cette fin sur les islamistesiii, aujourd’hui hors de contrôle. Patatras ! Surprise ? Chassez la modernité et vous avez le Moyen-Âge…
En tant que Français, de sang ou assimilés, nous n’avons à défendre ni une civilisation qui n’existe pas, ni une civilisation adultérée (américanisme), et devons garder nos distances face à un conflit au sein du sémitisme, un conflit entre sémites qui, comme tel, nous est intrinsèquement étranger. La France, au nom de ses intérêts, doit avoir sa propre politique au Levant, comme l’énonce fort bien un Hubert Védrine, mais c’est bien une question politique et non pas de civilisation. Au delà de cette question d’intérêt de politique étrangère, cette affaire ne nous regarde pas et donc ne devrait avoir guère sa place dans notre espace publique.
Zemmour, assimilation et État ethnique
La position d’Eric Zemmour montre les limites de l’assimilation de sa propre personne, lui qui se faisait soi-disant le champion de l’assimilation. En présence d’un conflit dans ce qu’il appelle lui-même « l’Orient compliqué », il a immédiatement eu la réaction la plus simple : le réflexe ethnique.
Or, c’est là que le bât blesse, car l’Israël est un État ethnique et tous les malheurs présents des Juifs de France résident dans ce fait, aussi déterminant que tu. Aussi, les dirigeants israéliens et les responsables des principales organisations juives de France (CRIF, Consistoire etc.) prétendent-ils implicitement que tous les Juifs doivent par nature considérer comme leur la cause de cet État. D’où la réaction en réponse inévitable, mécanique pourrait-on dire, de nombre d’Arabo-musulmans qui, dès lors, voient les engeances d’Isaac-Israël se dresser contre celles d’Ismaël, tous deux fils légendaires d’Abraham (Ibrahim pour les musulmans). Mais ce sont là des choses, pourtant évidentes, que notre classe politico-médiatique, conformiste, émotive et moralisatrice, ne sait plus voir.
Au quotidien, ces querelles levantines doivent nous rester proprement étrangères, à nous Français. Mais, certains de nos compatriotes ont, eux, bel et bien droit à un État ethnique. Nous pas…
N’est-ce pas un bon sujet de réflexion pour les militants de Reconquête, peut-être tentés aujourd’hui par une dérive néo-conservatrice ?
Eric Delcroix
iVoyez Nomades, essai sur l’âme juive, publié en 1929 et réédité chez Akribeia, Saint-Genis Laval, 2015.
iiVoyez à cet égard, ce qu’en dit Alain de Benoist, dans l’Homme qui n’avait pas de père, Krisis, Paris, 2021.
iiiVoyez Islamisme et États-Unis, une alliance contre l’Europe, par Alexandre del Valle, l’Âge d’Homme, Lausanne (Suisse), 1997.
A l’heure où médias et politiciens et même le pape rivalisent d’efforts pour que nous cédions à l’émotion et perdions ainsi tout sens commun, Me Eric Delcroix nous ramène magistralement à l’essentiel. A savoir qu’il y a un fossé entre l’Europe nourrie de la pensée grecque et du droit romain et l’univers abrahamique, quels que soient ses fidèles. Et qu’il est urgent de revenir à nos racines si nous voulons sauver ce qui peut encore l’être. Le « choc des civilisations » est avant tout celui des univers mentaux, que ne peuvent changer — globalement, en tout cas, car il y a toujours des exceptions — ni l’intégration ni même l’assimilation.
Bravo M.Delcroix, vous avez clairement dit l’essentiel, cet essentiel qu’on ne dit jamais !
Il était mieux compris par les générations des années trente…..
Bravo pour cet article où tout est dit, tout simplement!
Je repense à une illustration de Jacques Faisant présentant 7 « valeureux patriotes » de différents pays de par le monde et un huitième avec béret et baguette, qui lui n’était qu’un « vieux con cocardier, chauvin, xénophobe et présumé facho » parce qu’il criait tout simplement « vive la France ».
Lire, bien sûr, Jacques Faizant.
Merci de votre indulgence!