Face à la tragédie qu’ont connue de nombreux Israéliens, du fait de l’offensive éclair du Hamas de ce mois d’octobre, nous assistons chez nous à un déchaînement irréfléchi, passionnel, voire ethnique, qui anime, jusqu’à l’hystérie, notre sphère politico-médiatique. Et si nous cherchions à penser, pour un retour (risqué) à la raison contre l’émotion, plutôt que de laisser seul Mélenchon le faire – et de façon pernicieuse ? Heureusement, il reste la sagesse d’un Hubert Védrine…
La Genèse de l’État d’Israël a été fondée historiquement sur deux péchés originels : le terrorisme et le nettoyage ethnique, ce que l’on ne peut pas omettre de l’énoncé du problème.
La dialectique inévitable, en l’état, du terrorisme
N’oublions pas, par exemple, queMenahem Begin, qui fut Premier ministre de l’Israël, prix Nobel de la paix 1978, avait été l’un des dirigeants de l’organisation terroriste sioniste Irgoun, responsable notamment, contre les Britanniques, de la destruction de l’Hôtel King David (plus de 90 morts le 22 juillet 1946) et du massacre des civils palestiniens de Deïr-Yassin (9 avril 1948) qui aurait fait quelques 254 morts et sema une terreur initiant l’exode de la populations arabe. En 1948, les sionistes chassèrent ainsi par la force et en masse les populations dites arabes (sémites(1) biologiquement et historiquement cousines des juifs de la diaspora et restées sur place après la destruction de second Temple, en l’an 70).
Après la fondation de l’État de l’Israël, en 1948, cette ultime implantation du colonialisme à l’occidentale, nettoyage ethnique en plus, fut en butte à l’hostilité des pays arabes voisins, Égypte, Syrie, Liban, Jordanie, Irak puis Libye. Comme on sait ce furent plusieurs guerres conventionnelles, d’État à État, un peu à la manière occidentale, admise depuis 1648 (Traité de Westphalie). Mais, en connivence pendant des décennies, l’Israël et les Occidentaux (2) s’efforcèrent de détruire ces États à structures profanes et occidentalisées, les seuls à combattre, ainsi à la régulière, l’État d’Israël. Les États confessionnels islamiques sunnites ne combattant guère, eux, l’État sioniste que par le verbe et quelques pétrodollars, probablement juste pour satisfaire leurs opinions publiques éruptives (à l’inverse de l’engagement réel de l’Iran islamique, mais chiite et perse).
L’Égypte et la Jordanie soumises par leur dépendance économique à l’Occident, l’Irak écrasé, reste la Syrie, en difficulté, soutenue par les Russes et où les Occidentaux n’ont pas réussi à abattre Bachar El-Hassad. Conclusion : il n’existe plus d’États arabes « à l’occidental », pour faire face militairement à l’Israël. La conséquence perverse en est qu’il ne reste plus que la résistance, nécessairement « hors jeu », c’est à dire, de part et d’autre, le terrorisme. Jésus, à Jérusalem (déjà!), n’avait-il pas dit, selon Matthieu (26-52) : «Tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » ?
Revenir à la raison et à la mesure
Ce Deïr-Yassine, à rebours du Hamas de 2023, puisque cette fois contre des civils israéliens, nous rappelle qu’on ne peut transformer un peuple impunément en desperados, islamistes ou pas (Georges Habbache, figure historique de la résistance palestinienne, lui, était chrétien) et même privés de pays, ce qui ne choque pas nos belles âmes émues.
Le terrorisme entre Israéliens et Palestiniens est ainsi une série d’actes que l’on nomme terrorisme, au moins quand on en est victime. Est terroriste le passager d’une moto qui va abattre deux civils dans une rue, mais le pilote qui largue des bombes en milieu urbain, en tuant dix civils, à titre principal ou collatéral indistinctement, ne l’est-il pas aussi ? Combien, nous-mêmes, en vassaux des Américains, avons-nous tué de civils pour tenter de renverser le président syrien ? Nos belles âmes donneuses de leçon ne se sont pas émues. Ne serait-on terroristes que lorsque l’on voit ses victimes ?
Les Israéliens se vantent, même en période de paix, de liquider leurs adversaires par des assassinats « ciblés», revendiqués, n’est-ce pas là du aussi du terrorisme ? Mode d’action avoué auquel ont d’ailleurs recours également les Américains, ces parangons des droits de l’homme à la bonne conscience inoxydable, comme en assassinant par exemple le général iranien Souleimani (3) en transit sur l’aéroport de Bagdad (3 janvier 2020) ? Mais si les Iraniens abattaient un officiel américain, en transit dans un aéroport d’un pays tiers, alors ce serait du terrorisme ! Violences terroristes et hypocrisie : sans solution. L’Israël ne sera pas démantelé pour faire place à un État binational, où palestiniens et juifs aurait eu une place à raison de leur nombre ; il est bien trop tard historiquement et démographiquement.
Hubert Védrine (Radio classique, au matin du vendredi 13 octobre) a raison. Il faut accepter de donner aux Palestiniens un État, mais cela suppose le retrait des colons sionistes qui transforment la Cisjordanie en « peau de léopard » israélienne. C’est la continuation sournoise du nettoyage ethnique dont personne en Occident ne dit jamais le nom.
Va-t-on traiter Gaza, comme les Hébreux aurait, selon les auteurs de l’Ancien testament (Torah), traité notamment Haçor ? « Mais tous les êtres humains ils les passèrent au fil de l’épée, jusqu’à les exterminer. Ils n’y laissèrent pas âme qui vive » (Josué, 11, 14).
La France doit restaurer sa propre politique étrangère, revenant à la mesure que dicte nos intérêts et non à un abandon pro-sioniste comme les Américains qui déstabilisent depuis des décennies le Moyen-Orient.
Éric Delcroix.
1 – Il est absurde de qualifier d’antisémites des actes anti-juif commis par des Arabes, eux-mêmes Sémites.
2 – C’est-à-dire essentiellement les Américains et leurs vassaux et laquais de l’OTAN.
3 – Son corps n’ayant pas été aux mains des Américains, n’aura donc pas été privé de sépulture. Privation de coutume chez l’Oncle Sam, de Goering à Ben Laden.