« Barnier à Matignon : le RN faiseur d’un roi… éphémère ? » titrait notre site le 6 septembre. La prédiction, d’ailleurs peu risquée, semble se confirmer puisque, défilant deux semaines plus tard à Paris, l’Insoumise Mathilde Panot décrivait en Michel Barnier un Premier ministre « qui tient grâce à l’abstention de Marine Le Pen » et voyait dans le nouveau gouvernement enfin présenté aux Français le 21 septembre le triomphe du « macrono-lepénisme ». Reste à savoir combien de temps durera ce gouvernement, dont l’accouchement fut interminable tant il fallait doser au millilitre près les sensibilités politiques, tout en tenant compte de la répartition géographique et de la sacro-sainte parité.
Dupont-Moretti recasé au Conseil constitutionnel ?
D’où l’arrivée en masse d’illustres inconnus, des « gens d’en bas » du moins, dans ce cabinet comptant trente-neuf ministres, ministres délégués et secrétaires d’État — 18 issus de la coalition présidentielle (Renaissance-Ensemble pour la République, MoDem et Horizons) et 11 des Républicains. Autrement dit des grands vaincus des élections européennes puis législatives, vive la démocratie !
A l’opposé, leur départ ayant été exigé par le Rassemblement national qui avait flétri leur laxisme et leur guerre ouverte contre les nationalistes, deux fleurons des règnes d’Elizabeth Borne et de Gabriel Attal quittent la scène : l’ancien ministre de l’Intérieur (et élu RPR) Gérald Darmanin et le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti. Mais ce dernier pourrait gagner son bâton de maréchal avec la présidence du Conseil constitutionnel que Laurent Fabius devra abandonner en 2025 au terme de son mandat de neuf ans pendant lesquels, de mèche avec François Hollande puis Emmanuel Macron, il sabota consciencieusement toutes les lois lui déplaisant. En dernier lieu celle sur l’immigration, par la censure de tous les amendements un peu répressifs présentés par Éric Ciotti alors président des Républicains (poste auquel il a formellement renoncé dimanche) et approuvés par les députés du RN, ce qui vida le texte de toute substance. Un exploit que, à n’en pas douter, Dupont-Moretti tiendrait à cœur de renouveler si ses ambitions étaient satisfaites.
Nommé à la Justice et deuxième après Barnier dans l’ordre protocolaire, Didier Migaud sera-t-il moins nuisible que son prédécesseur ? On aurait mieux vu cet ancien socialiste au ministère des Finances enfin abandonné après sept ans d’incurie par Bruno Le Maire car, longtemps président de la Cour des comptes, il s’y montra aussi rigoureux qu’accrocheur, critiquant notamment la dilapidation des deniers publics par l’État et le gouffre financier constitué par l’immigration.
Mais c’est sans doute cette rigueur qui lui a coûté Bercy, où œuvrera désormais l’obscur mais multidiplômé macroniste Antoine Armand, bombardé ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie à 33 ans à peine mais seulement dixième dans l’ordre protocolaire derrière Rachida Dati maintenue à la Culture, sur ordre de Sarkozy vraisemblablement, ou Agnès Pannier-Runacher parachutée à la Transition écologique. Une place donc peu reluisante, qui en dit long sur la volonté d’Emmanuel Macron de réduire réellement notre dette colossale (3.200 milliards d’euros) et le déficit public, qui atteint 5,6% du PIB quand il est interdit aux États membres de l’Union de dépasser les 3%.
Est-ce en vue des difficiles tractations avec Bruxelles que l’eurocrate Jean-Noël Barrot (Modem), fils de son père l’eurocrate Jacques Barrot, figure, lui, en sixième position, juste devant Dati et le ministre des Armées Sébastien Lecornu, conservé rue Saint-Dominique mais rétrogradé, bien qu’en raison des conflits présents et à venir, son portefeuille soit primordial ?
On peut d’ailleurs en dire autant du ministère (Agriculture et Souveraineté alimentaire) décroché par Annie Genevard, vice-présidente des Républicains. Alors que, ruiné par les intempéries et la fièvre catarrhale frappant les troupeaux, le monde paysan est en ébullition, on ignore quelles compétences possède en matière agricole cette professeur de lettres classiques, qui eût sans doute été plus à sa place comme ministre de l’Éducation, poste qui échoit au contraire au médecin Anne Genetet, ancienne vice-présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. Fille d’industriel, Mme Genevard a pour principaux titres de gloire sa qualité de petite-fille de réfugiés communistes italiens et son opposition déterminée à Éric Ciotti. Titre qu’elle partage d’ailleurs avec Gil Avérous, le nouveau ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, également maire de Châteauroux qui, grâce à lui, a accueilli plusieurs Gay Pride.
Haro sur les cathos !
Voilà qui devrait rassurer les anti-homophobes et le lobby immigrophile scandalisés par l’arrivée au gouvernement des « cathoréacs » Bruno Retailleau, ancien bras droit de Philippe de Villiers, et Laurence Garnier, figure de la Manif pour tous, hostile à l’adoption d’enfants par les couples de même sexe comme aux thérapies dites de conversion de genre et à la constitutionnalisation de l’avortement.
Catholique fervente et mère de quatre enfants, cette sénatrice de Loire-Atlantique avait été logiquement pressentie par Michel Barnier pour occuper le secrétariat d’État à la Famille. Devant le hourvari venu du Nouveau Front populaire et relayé par la Macronie, c’est finalement Agnès Canayer, proche d’Edouard Philippe, qui est chargée de la famille et de la petite enfance quand la terrifiante Mme Garnier n’hérite que de la Consommation. Ouf ! De ce côté-là au moins, on respire dans les saunas et les backrooms du Marais.
Reste le cas Retailleau. Quatrième dans l’ordre protocolaire, le Vendéen — qualifié d’« inquiétant » par Mélenchon qui, en revanche, n’a pas tort d’estimer que le gouvernement Barnier n’a « ni légitimité ni futur » — prendra-t-il Place Beauvau les mesures radicales qu’il préconisait au Sénat pour enfin lutter efficacement contre la criminalité et l’immigration incontrôlée ? Lucide, il avait affirmé en juin 2023, au moment des dévastatrices émeutes « pour Nahel » : « Bien sûr que si, il y a un lien avec l’immigration. Pour la deuxième, la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques. » Mais « les paroles volent » et il ne faut pas se bercer d’illusions. Lors de la cohabitation de 1986-1988, la droite dure attendait beaucoup du vicomte de Villiers, nommé à la Culture. Mais le grand diseur se révéla vite petit faiseur, pour parler comme Jean-Marie Le Pen. Espérons pour les Français confrontés à une délinquance et à un racisme anti-blancs croissants, qu’il n’en ira pas de même pour le successeur de Darmanin et son ministre délégué à la Sécurité, le LR drômois Nicolas Daragon.
La coordination gouvernementale déjà en question
Dans tous les gouvernements de cette Vème République finissante, les intitulés des ministères sont souvent ésotériques ou redondants et le cabinet Barnier n’échappe pas à la règle. Le macroniste Guillaume Kasbarian est ainsi chargé « de la fonction publique, de la simplification et de la transformation de l’action publique », le Dr Geneviève Darrieussecq (centriste) « de la santé et de l’accès aux soins », comme si l’une allait sans les autres et la sénatrice Marie-Claire Carrère-Gée, ancienne conseillère de Chirac, a pour mission de veiller à « la coordination gouvernementale ». Ce qui prouve l’extrême fragilité de celle-ci.
Grâce au vote ou du moins à l’abstention du Rassemblement national, l’équipe rassemblée à si grand peine par Michel Barnier ne sera sans doute pas renversée à peine formée. Résistera-t-elle toutefois aux affrontements provoqués par l’examen du Budget repoussé au 9 octobre ? Les paris sont ouverts.
Camille Galic