Les amateurs de « polars » ont certainement lu des « Série noire » signés José Giovanni (il a écrit une vingtaine de romans). Quant aux cinéphiles, sauf s’ils sont très jeunes, il est carrément impossible qu’ils aient échappé, à la télévision ou au cinéma, à l’un de ses films, d’autant que plusieurs d’entre eux sont considérés comme des films culte : Le Trou (1957, qui est quasiment son journal de prison), Le deuxième souffle (1958), Classe tous risques (1958), Les Aventuriers (1960), Ho ! (1968), Les Ruffians (1969), Dernier domicile connu (1970), La scoumoune (1972) etc.
Giovanni et la critique
Pour Jean Tulard, illustre critique de cinéma, de polars et d’ouvrages historiques, c’est la vérité, la simplicité « et cette justesse de ton qui ont fait la réputation de Giovanni ». « Il y a beaucoup d’authenticité dans ces histoires de gangsters en cavale ou rendus à la liberté et qui se heurtent à un monde qu’ils ne reconnaissent plus », écrit-il encore. Rien d’étonnant car Giovanni fut un authentique gangster, et même sans doute un assassin.
Le critique littéraire de Minute, Jean Bourdier, note que Giovanni s’intéressait davantage à la psychologie du truand qu’à la construction de l’intrigue. Et quand le truand est joué par Delon, Ventura, Gabin ou Belmondo, le public est au rendez-vous et la qualité aussi. Passons sur le médiocre Que sais-je consacré au roman noir français dont je ne citerai pas l’auteur ; note un peu discordante au milieu des éloges. Pour Claude Mesplède, à qui l’on doit un Dictionnaire des littératures policières en deux tomes, les deux chefs d’œuvre de Giovanni sont Le deuxième souffle et Classe tous risques.
Qu’apporte de neuf la biographie de Gilles Antonowicz ? Beaucoup de choses, en fait. L’avocat de Giovanni, Stephen Hecquet, aurait pu écrire un grand livre sur le cas de ce jeune homme, mais il est mort à 40 ans à peine, victime d’une malformation cardiaque. Il reste de lui quelques livres, et notamment Les Guimbardes de Bordeaux, son chef d’œuvre à défaut d’autre chose, puisque la camarde ne lui a pas laissé le temps d’écrire davantage.
Hecquet aurait donc pu écrire un formidable Giovanni. Mais nous avons la chance d’avoir l’ouvrage d’Antonowicz, avocat, lui aussi, historien et biographe de plusieurs personnages hors du commun, comme Jacques Isorni, Pierre Pucheu, ou Maurice Garçon.
Les biographies sont parfois barbantes, mais je vous défie de vous ennuyer avec cette lecture. Raconter Giovanni, c’est raconter une sombre aventure. Il y a, dans cette histoire, un mélange de politique (du côté du PPF) et de gangstérisme. A 20 ans, il « entre en délinquance », nous raconte Antonowicz qui, 80 ans, après Hecquet, va se plonger dans les archives de la Préfecture de Police de Paris, les Archives Nationales et autres. C’est absolument passionnant.
Je ne vais pas vous raconter l’affaire, le meurtre du dénommé Haïm Cohen, dix jours après la fin de la guerre, puis la rédemption de Giovanni. Seule sa jeunesse et l’anarchie de la période, peuvent à la rigueur atténuer ses fautes. Celui qui est le plus admirable, c’est le père de Giovanni.
Condamné à mort, le jeune truand passera onze années en prison. Une spectaculaire tentative d’évasion donnera lieu à un livre, et à un film
En 1993, une campagne de presse sera lancée contre lui sur le thème : « Giovanni était un collaborateur ». Mais dans la mesure où il avait été condamné à mort en 1948, puis libéré 11 ans plus tard, on ne voit pas l’intérêt de cette procédure, destinée à le sanctionner une nouvelle fois pour les mêmes faits. Non bis in idem, disent les juristes (On ne peut juger deux fois pour la même faute). A la vérité, ce qu’une partie de l’opinion voulait sans doute lui faire payer, ce sont ses succès littéraires et cinématographiques, à sa sortie de prison. Ce qui était une autre histoire.
Son dernier film est un hommage à son père : Il avait dans le cœur des jardins introuvables. Un beau livre, et un film, qui n’eurent pas le succès mérité, alors que c’était une bonne action. Car en dehors de la question du talent de José Giovanni, qui est incontestable, le vrai héros de ce drame, ce fut son père.
Madeleine Cruz
José Giovanni. Histoire d’une rédemption, par Gilles Antonowicz, Editions Glyphe, 230 p., février 2024, 22€